, craintivement, la petite ecuyere.
J'eusse prefere qu'elle ne fut pas la. Je la cherchais trop loin:
elle etait a cote de moi. Elle epluchait des pommes de terre avec un
couteau ebreche. Au lieu de sa tunique d'or, elle portait de mauvaises
hardes bariolees. Ses pieds nus, ses pieds dores, baignaient dans une
couche de poussiere. Ainsi humiliee, je la trouvais aussi belle que
dans sa gloire, sur le piedestal de sa large selle, franchissant les
cerceaux et saluee des acclamations de la foule. Deja l'illusion
m'illuminait. Je la trouvais aussi belle, et pourtant mon premier
geste fut de m'ecarter, par timidite evidemment, et aussi, je le
confesse, parce que tante Dine m'avait communique, vis-a-vis des
bohemiens et des mendiants, sa peur de la vermine, qui, assurait-elle,
se ramasse si vite.
Explique qui pourra ces contradictions. Je reconnus en moi un obscur
sentiment nouveau rien qu'a la honte que me donna ce recul instinctif,
et, dans mon ardeur a meriter mon propre pardon, j'eusse immediatement
partage avec elle jusqu'a ses insectes.
J'admirais avec quelle noblesse elle pelait ses pommes et aussi avec
quelle habilete, ne se reprenant point dans son operation et se
contentant, chaque fois, d'une seule epluchure. Elle condescendait
sans impatience a cette infime besogne, et je lui etais reconnaissant
de s'abaisser. Comme la-bas, sur la piste, dans ses exercices
hippiques, elle demeurait serieuse et impassible, toute a son travail.
Remarqua-t-elle neanmoins mes yeux ecarquilles? Elle daigna me parler
la premiere:
--C'est long a peler, fit-elle.
--Oh! oui, repondis-je au comble du bonheur, c'est long a peler.
--J'aurais voulu, j'aurais du l'aider, mais je n'osais pas. Un
scrupule pharisaique me retenait. Dans mon zele, je pouvais bien aller
jusqu'a la vermine qui se prend sans que personne le remarque, tandis
qu'eplucher des pommes de terre sur la place publique, devant des
roulottes, c'etait un scandale exterieur qui m'epouvantait.
Nous ne depassames pas ces confidences. Une voix gutturale appela tout
a coup:
--Nazzarena.
Elle abandonna ses legumes et partit sans me dire adieu. J'en fus tres
affecte; du moins je savais son nom. Je revins a la maison au galop,
laissant derriere moi grand-pere qui agitait les bras et qui criait:
--Hola! doucement!
Je ne pouvais pas ne pas courir. Des ailes m'avaient pousse aux
epaules, et pendant cette course affolee tout mon etre chantait comme
la boite a musique l
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