ait et montrait ses dents.
Un des hommes bronzes de la troupe passa devant nous et s'arreta pour
nous devisager. Puis, brusquement, en maniere de jeu, il joignit nos
deux tetes en proferant dans son jargon un mot ou deux que je ne
saisis pas.
Le contact de cette joue me brula et, me degageant avec violence, je
me sentis devenir rouge jusqu'a la racine des cheveux. Elle se
contenta de rire davantage.
--Qu'a-t-il dit? balbutiai-je, partage entre la colere et une emotion
toute nouvelle.
--Oh! rien, fit-elle. Que vous etiez mon petit amoureux.
--Moi! protestai-je, allons donc!
Je ne voulais pas que ce fut possible. L'amour qu'on exprimait devait
perdre toute importance. Et puis quoi? tout serait fini par la. Pour
que l'amour fut l'amour, il fallait necessairement qu'on le gardat en
soi en qu'il fit mal...
III
LE COMPLOT
Comment personne ne s'apercut-il, quand je rentrai a la maison, que
j'avais subitement change et grandi? J'en fus presque scandalise.
--Te voila, toi! constata mon pere qui commencait a se mefier de mes
absences.
Et tante Dine me poursuivit pour m'obliger a revetir un autre veston
d'un usage plus evident. J'avais enfile rapidement le plus beau pour
ma visite a Nazzarena. C'etait peut-etre encore le fameux vert olive
de ma convalescence, enfin convenable a ma taille apres trois ou
quatre annees d'attente, a moins qu'on ne l'eut mis a la retraite,
dans une armoire, sous le camphre et la naphtaline, jusqu'a la
croissance de Jacquot. On ne me respectait nullement, alors que tout
le monde aurait du etre frappe de ma nouvelle figure. Au lieu de ne
penser qu'a mon aventure que, d'ailleurs, je ne parvenais pas a
demeler, j'etais vexe de cette familiarite.
Nous nous trouvions reunis dans la chambre de ma mere, a cause de la
petite Nicole un peu grippee, qui exigeait une surveillance attentive,
etant de sante delicate. Je compris, malgre le secret qui m'absorbait,
qu'un evenement capital se preparait. On enjoignit a Jacquot, trop
turbulent, de se tenir tranquille dans un coin. Melanie, toujours un
peu dans la lune, --elle ecoute ses voix comme Jeanne d'Arc, assurait
tante Dine, --s'occupa de distraire silencieusement sa soeur malade.
Et mon pere enfin pu montrer a ma mere la lettre qu'il avait a la main
:
--C'est du secretaire de Monseigneur, declara-t-il en maniere
d'avertissement.
Je crus qu'il s'agissait de l'eveque. Une fois l'an, il dinait a la
maison. Mais on prononca le nom du
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