e se reveillait plus active et ta soif plus
ardente. Tu quittais les bras de tes folles maitresses pour t'arreter en
soupirant devant les vierges de Raphael.--Quel est donc, disait a propos
de toi un pieux et tendre songeur, _ce jeune homme qui s'inquiete tant de
la blancheur des marbres?_"
Dans ce recit a mots couverts, mais transparent, quelle sera l'explication
que donnera George Sand de leur rupture, et qui doit satisfaire a la fois
Musset, Pagello, elle-meme, le public et la verite? C'est peut-etre, sous
la grace et la sinuosite des metaphores, le passage le plus audacieux de
la premiere _Lettre_: "Ton corps, aussi fatigue, aussi affaibli que ton
coeur, ceda au ressentiment de ses anciennes fatigues, et _comme un beau
lis se pencha pour mourir_. Dieu, irrite de ta rebellion et de ton orgueil,
posa sur ton front une main chaude de colere, et, en un instant, tes
idees se confondirent, ta raison t'abandonna. L'ordre divin etabli dans
les fibres de ton cerveau fut bouleverse. La memoire, le discernement,
toutes les nobles facultes de l'intelligence, si deliees en toi, se
troublerent et s'effacerent comme les nuages qu'un coup de vent balaie. Tu
te levas sur ton lit en criant:--Ou suis-je, o mes amis? pourquoi
m'avez-vous descendu vivant dans le tombeau?--Un seul sentiment survivait
en toi a tous les autres, la volonte, mais une volonte aveugle, dereglee,
qui courait comme un cheval sans frein et sans but a travers l'espace. Une
devorante inquietude te pressait de ses aiguillons; tu repoussais
l'etreinte de ton ami, tu voulais t'elancer, courir. Une force effrayante
te debordait.--Laissez-moi ma liberte, criais-tu, laissez-moi fuir; ne
voyez-vous pas que je vis et que je suis jeune?--Ou voulais-tu donc aller?
Quelles visions ont passe dans le vague de ton delire? Quels celestes
fantomes t'ont convie a une vie meilleure? Quels secrets insaisissables a
la raison humaine as-tu surpris dans l'exaltation de ta folie? Sais-tu
quelque chose a present, dis-moi? Tu as souffert ce qu'on souffre pour
mourir; tu as vu la fosse ouverte pour te recevoir; tu as senti le froid
du cercueil, et tu as crie:--Tirez-moi, tirez-moi de cette terre
humide!"
Ainsi se trouve relatee et affirmee par George Sand l'hallucination
etrange et morbide d'Alfred de Musset a Venise, et cela precisement dans
une _Lettre_ qu'elle le chargea de relire, de corriger, de transmettre a
la _Revue des Deux Mondes_, si mieux il n'aimait la detruire! Du meme coup
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