vous eveillates autour de moi
comme pour me regarder avec vos faces fraiches et vermeilles! o ma petite
sauge du Tyrol! o mes heures de solitude, les seules de ma vie que je me
rappelle avec delices!"
Alors, dans l'enthousiasme de cette religion nouvelle, disant adieu a
l'amour qui decline et saluant l'aurore de la verite prochaine, George
Sand s'ecrie, avec toute sa ferveur de neophyte: "Si vous proclamez la
republique pendant mon absence, prenez tout ce qu'il y a chez moi, ne vous
genez pas; j'ai des terres, donnez-les a ceux qui n'en ont pas; j'ai un
jardin, faites-y paitre vos chevaux; j'ai une maison, faites-en un hospice
pour vos blesses; j'ai du vin, buvez-le; j'ai du tabac, fumez-le; j'ai mes
oeuvres imprimees, bourrez-en vos fusils. Il n'y a dans tout mon
patrimoine que deux choses dont la perte me serait cruelle: le portrait de
ma vieille grand'mere, et six pieds carres de gazon plantes de cypres et
de rosiers. C'est la qu'elle dort avec mon pere. Je mets cette tombe et ce
tableau sous la protection de la republique, et je demande qu'a mon retour
on m'accorde une indemnite des pertes que j'aurais faites, savoir: une
pipe, une plume et de l'encre; moyennant quoi je gagnerai ma vie
joyeusement, et passerai le reste de mes jours a ecrire que vous avez bien
fait."
Si nous prenions ce serment a la lettre, c'en serait fait pour George Sand
des terrestres amours. La conversion serait accomplie. De meme qu'on avait
dit de Racine: "Il aima Dieu comme il avait aime la Champmesle," on
pourrait croire qu'elle va cherir l'ideal republicain avec la fougue qui
l'avait entrainee aux voluptes humaines. Mais ce sont la promesses hatives
et revocables. Ni Pagello, ni Alfred de Musset n'auront calme en George
Sand les curieuses inquietudes du coeur.
CHAPITRE XIII
ENTRE VENISE ET PARIS
Tandis que George Sand s'attarde a Venise, ecrivant des romans, se livrant
a de menus travaux manuels ou meme aidant sa servante la Catina a faire la
cuisine, qu'advient-il a Paris d'Alfred de Musset? Nous l'apprenons par sa
correspondance encore inedite, mais dont certains passages ont ete publies
de ci de la, notamment dans les etudes de M. Maurice Clouard et d'Arvede
Barine, ainsi que dans le volume de M. Paul Marieton. Le 30 avril, il
envoie de meilleures nouvelles de sa sante, mais surtout il parle de cet
amour interrompu, non pas rompu, et qu'il affirme etre toujours vivace en
son coeur. "Songe a cela, s'ecrie-t-il, je n'ai q
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