apprit a graver a l'eau-forte aussi bien que lui. Elle quitta son
mari, ses biens et son pays pour aller vivre avec Watelet. Le monde les
maudit; puis, comme ils etaient pauvres et modestes, on les oublia.
Quarante ans apres, on decouvrit aux environs de Paris, dans une
maisonnette appelee _Moulin-Joli_, un vieux homme qui gravait a
l'eau-forte et une vieille femme, qu'il appelait sa meuniere, et qui
gravait a l'eau-forte, assise a la meme table. Le premier oisif qui
decouvrit cette merveille l'annonca aux autres, et le beau monde courut en
foule a Moulin-Joli pour voir le phenomene. Un amour de quarante ans, un
travail toujours assidu et toujours aime; deux beaux talents jumeaux;
Philemon et Baucis du vivant de mesdames Pompadour et Dubarry. Cela fit
epoque, et le couple miraculeux eut ses flatteurs, ses amis, ses poetes,
ses admirateurs. Heureusement le couple mourut de vieillesse peu de jours
apres, car le le monde eut tout gate. Le dernier dessin qu'ils graverent
representait le Moulin-Joli, la maison de Marguerite, avec cette devise:
_Cur valle permutem Sabina divitias operosiores?_
"Il est encadre dans ma chambre au-dessus d'un portrait dont personne ici
n'a vu l'original. Pendant un an, l'etre qui m'a legue ce portrait s'est
assis avec moi toutes les nuits a une petite table, et il a vecu du meme
travail que moi... Au lever du jour, nous nous consultions sur notre
oeuvre, et nous soupions a la meme petite table, tout en causant d'art, de
sentiment et d'avenir. L'avenir nous a manque de parole. Prie pour moi, o
Marguerite Le Conte!"
On voit qu'en cette page pathetique elle ne cherche pas a plaider non
coupable. Elle confesse implicitement ses torts, ses chutes et ses
rechutes. "Je tombai souvent", dit-elle; puis elle parle avec melancolie
de l'hiver de son ame qui est venu, un eternel hiver. Dans sa pensee
surgit une comparaison entre les jours d'autrefois, si lumineux, si doux,
et ceux d'a present, voues a un deplorable veuvage: "Il fut un temps ou je
ne regardais ni le ciel ni les fleurs, ou je ne m'inquietais pas de
l'absence du soleil et ne plaignais pas les moineaux transis sur leur
branche. A genoux devant l'autel ou brulait le feu sacre, j'y versais tous
les parfums de mon coeur. Tout ce que Dieu a donne a l'homme de force et
de jeunesse, d'aspiration et d'enivrement, je le consumais et le rallumais
sans cesse a cette flamme qu'un autre amour attisait. Aujourd'hui l'autel
est renverse, le feu sacre est e
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