teint, une pale fumee s'eleve encore et
cherche a rejoindre la flamme qui n'est plus; c'est mon amour qui s'exhale
et qui cherche a ressaisir l'ame qui l'embrasait. Mais cette ame s'est
envolee au loin vers le ciel, et la mienne languit et meurt sur la terre."
Tels sont les ressouvenirs et les regrets que George Sand exprime, a
quelques mois d'intervalle, dans la cinquieme des _Lettres d'un Voyageur_,
adressee a Francois Rollinat. L'heure viendra--mais il lui faut auparavant
traverser la crise la plus douloureuse--ou elle pourra sortir d'esclavage
et, selon l'admirable metaphore de la sixieme _Lettre_ a Everard, se
delivrer de la fleche qui lui perce le coeur. "C'est ma main qui l'a
brisee, c'est ma main qui l'arrachera; car chaque jour je l'ebranle dans
mon sein, ce dard acere, et chaque jour, faisant saigner ma plaie et
l'elargissant, je sens avec orgueil que j'en retire le fer et que mon ame
ne le suit pas." Elle veut alors, elle veut abdiquer sa grande folie,
l'amour! A cette idole de sa jeunesse, dont elle croit--o
illusion!--deserter le temple a jamais, elle envoie un eloquent et
solennel adieu: "Adieu! Malgre moi mes genoux plient et ma bouche tremble
en te disant ce mot sans retour. Encore un regard, encore l'offrande d'une
couronne de roses nouvelles, les premieres du printemps, et adieu!" A
d'autres, a de plus jeunes levites elle laisse les courtes joies, les
longs soucis et les cruels tourments de la passion. Ceux-la continueront
d'aimer au jour le jour, sans prevoir les lendemains de souffrance. "Regne,
amour, regne en attendant que la vertu et la republique te coupent les
ailes."
Une evolution, en effet, a laquelle nous assisterons, s'annonce et
s'effectue dans la pensee et la sensibilite de George Sand. De l'amour
egoiste et sensuel elle voudrait s'elever a l'amour idealiste et
immateriel. Mais combien malaisee est la delivrance de tout ce passe qui
l'enlace! Elle entend encore, durant ses insomnies fievreuses, les tendres
modulations du rossignol. "_O chantre des nuits heureuses!_ comme
l'appelle Obermann... Nuits heureuses pour ceux qui s'aiment et se
possedent; nuits dangereuses a ceux qui n'ont point encore aime; nuits
profondement tristes pour ceux qui n'aiment plus! Retournez a vos livres,
vous qui ne voulez plus vivre que de la pensee, il ne fait pas bon ici
pour vous. Les parfums des fleurs nouvelles, l'odeur de la seve,
fermentent partout trop violemment; il semble qu'une atmosphere d'oubli et
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