'appartiennent pas. Tu voulus vivre
pour ton compte, et suicider ta gloire par mepris de toutes les choses
humaines. Tu jetas pele-mele dans l'abime toutes les pierres precieuses de
la couronne que Dieu t'avait mise au front, la force, la beaute, le genie,
et jusqu'a l'innocence de ton age, que tu voulus fouler aux pieds, enfant
superbe!"
Puis, sur le mode mystique, elle celebre le poete qu'elle a aime, admire,
soigne, gueri, et remplace, mais non pas oublie, et qui a ete eloigne
d'elle par l'inevitable lassitude des sentiments perissables: "Au milieu
des fougueux plaisirs ou tu cherchais vainement ton refuge, l'esprit
mysterieux vint te reclamer et te saisir. Il fallait que tu fusses poete,
tu l'as ete en depit de toi-meme. Tu abjuras en vain le culte de la vertu;
tu aurais ete le plus beau de ses jeunes levites; tu aurais desservi ses
autels en chantant sur une lyre d'or les plus divins cantiques, et le
blanc vetement de la pudeur aurait pare ton corps frele d'une grace plus
suave que le masque et les grelots de la Folie... Tu poursuivais ton chant
sublime et bizarre, tout a l'heure cynique et fougueux comme une ode
antique, maintenant chaste et doux comme la priere d'un enfant. Couche sur
les roses que produit la terre, tu songeais aux roses de l'Eden qui ne se
fletrissent pas; et, en respirant le parfum ephemere de tes plaisirs, tu
parlais de l'eternel encens que les anges entretiennent sur les marches du
trone de Dieu. Tu l'avais donc respire, cet encens? Tu les avais donc
cueillies, ces roses immortelles? Tu avais donc garde, de cette patrie des
poetes, de vagues et delicieux souvenirs qui t'empechaient d'etre
satisfait de tes folles jouissances d'ici-bas?" Et cette eloquente
apostrophe aboutit a une veridique peinture de la melancolie du poete, mal
incurable au sein des voluptes. Tel le gout amer dont parle Lucrece, et
qui corrompt ou denature la douceur du breuvage: "Suspendu entre la terre
et le ciel, avide de l'un, curieux de l'autre, dedaigneux de la gloire,
effraye du neant, incertain, tourmente, changeant, tu vivais seul au
milieu des hommes; tu fuyais la solitude et la trouvais partout. La
puissance de ton ame te fatiguait. Tes pensees etaient trop vastes, tes
desirs trop immenses, tes epaules debiles pliaient sous le fardeau de ton
genie. Tu cherchais dans les voluptes incompletes de la terre l'oubli des
biens irrealisables que tu avais entrevus de loin. Mais quand la fatigue
avait brise ton corps, ton am
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