issais sur la place avec la Sand a mon bras.
Quelques femmes me complimentaient malicieusement. George Sand, avec cette
perception qui lui etait propre, voyait et comprenait tout, et lorsque
quelque leger nuage passait sur mon front, elle savait le dissiper a
l'instant avec son esprit et ses graces enchanteresses."
Il fallait que la clientele du docteur Pagello ne fut ni bien nombreuse ni
bien absorbante pour lui permettre de courir la campagne avec George Sand,
habillee en garcon. Elle avait apporte de France un costume tres simple,
pantalon de toile, casquette et blouse bleue. Tous deux, legers d'argent,
mais dans l'allegresse d'un amour naissant, se livraient a la joie des
excursions pedestres que Jean-Jacques a pratiquees et vantees. Le
delicieux printemps du nord de l'Italie favorisait leur dessein, et, quand
ils rentraient a Venise, George Sand, en disciple fidele, retrouvait, pour
traduire ses impressions de touriste, le merveilleux coloris des
_Confessions_. Dans les _Lettres d'un Voyageur_, la partie descriptive
renferme peut-etre les plus belles pages qui soient sorties de la plume du
romancier; mais ce que nous jugerons le plus digne d'interet par dela la
somptuosite ou la delicatesse du style, ce sont les aveux d'une ame
tumultueuse, qui encadre ses inquietudes ou ses remords dans le decor
prestigieux de la nature.
Lorsque George Sand, a distance et a loisir, composa une preface pour
l'ensemble des _Lettres d'un Voyageur_, elle y mit des idees
philosophiques, de la metaphysique meme, avec un grain de declamation.
Elle recuse l'opinion de la plupart de ceux qui ont voulu se mirer dans
son ame et se sont fait peur a eux-memes. "Ils se sont ecries que j'etais
un malade, un fou, une ame d'exception, un prodige d'orgueil et de
scepticisme. Non, non! je suis votre semblable, hommes de mauvaise foi! Je
ne differe de vous que parce que je ne nie pas mon mal et ne cherche point
a farder des couleurs de la jeunesse et de la sante mes traits fletris par
l'epouvante. Vous avez bu le meme calice, vous avez souffert les memes
tourments. Comme moi vous avez doute, comme moi vous avez nie et blaspheme,
comme moi vous avez erre dans les tenebres, maudissant la Divinite et
l'humanite, faute de comprendre!" Et, cherchant la cause et la source des
miseres morales qui travaillent la societe moderne: "Le doute, dit-elle,
est le mal de notre age, comme le cholera... Il est ne de l'examen. Il est
le fils malade et fievreux d'une
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