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j'ai craint pourtant qu'elle ne te semblat ridicule. Le monde que tu as
recommence a frequenter ne comprend rien a ces sortes de choses, et
_peut-etre te dira-t-on que cet amour imprime et comique est
anti-merimeen_. Si tu m'en crois, tu laisseras dire et tu donneras la
_Lettre_ a la _Revue_. S'il y a quelque ridicule a encourir, il n'est que
pour ton oisillon qui s'en moque et qui aime mieux le blame que la louange
de certaines gens. Que les belles dames crient au scandale, que t'importe?
Elles ne t'en feront la cour qu'un peu plus tendrement. D'ailleurs, il n'y
a pas de _nom_ trace dans cette _Lettre_, on peut la prendre pour un
fragment de roman, nul n'est oblige de savoir si je suis une femme. En un
mot, je ne la crois pas trop inconvenante; pour la forme, tu retrancheras
ou changeras ce que tu voudras, tu la jetteras au feu, si tu veux."
La _Lettre_, a laquelle George Sand fait allusion, est la premiere de
celles qui parurent au nombre de douze, a differentes dates, de 1834 a
1836, et qui furent rassemblees sous le titre general, _Lettres d'un
Voyageur_. Elles sont adressees a des correspondants tels que Neraud,
Rollinat, Everard--pseudonyme de Michel (de Bourges)--Liszt, Meyerbeer,
Desire Nisard. Les trois premieres sont dediees "A un poete," c'est-a-dire
a Alfred de Musset. On y rencontre des pages d'une incomparable eloquence.
A ce propos, il est surprenant que Pagello ait ose noter dans son
memorial: "J'ecrivais aussi; nous avons du moins travaille ensemble aux
_Lettres d'un Voyageur_, ou nous depeignimes en quelques croquis, et
plutot a sa facon qu'a la mienne, les coutumes de Venise et des environs."
A dire vrai, la "facon" de George Sand nous inspire plus de confiance et
jouit de plus de notoriete que celle de Pagello, qui tres glorieusement
declare avoir servi de modele et de protagoniste pour l'intrigue de
_Jacques_. Aussi bien il etait tres fier de son intimite avec George Sand,
en depit des representations de son pere qui lui reprochait ce "mauvais
pas" et ordonnait a son autre fils Robert de s'eloigner du logis et de la
societe de Pietro, tant que durerait la liaison. "Je prevoyais cette
premiere amertume, dit Pagello, et je la supportai, sinon en paix, du
moins avec assez d'aplomb. Plusieurs de mes clients et de mes amis, parmi
lesquels beaucoup de personnes distinguees, souriaient en me rencontrant
dans les rues; d'autres pincaient les levres en me regardant, et evitaient
de me saluer quand je para
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