du monde un etre dont tu es le premier et le dernier amour." A cette
lettre si complexe et si contradictoire, George Sand repond le 29 avril:
"Tu es un mechant, mon petit ange, tu es arrive le 12 et tu ne m'as ecrit
que le 19. J'etais dans une inquietude mortelle." Puis c'est la
sollicitude maternelle qui reparait: "Ce qui me fait mal, c'est l'idee que
tu ne menages pas ta pauvre sante. Oh! je t'en prie a genoux, pas encore
de vin, pas encore de filles! c'est trop tot. Songe a ton corps qui a
moins de force que ton ame et que j'ai vu mourant dans mes bras. Ne
t'abandonne au plaisir que quand la nature viendra te le demander
imperieusement, mais ne le cherche pas comme un remede a l'ennui et au
chagrin. C'est le pire de tous. Menage cette vie que je t'ai conservee,
peut-etre, par mes veilles et mes soins. Ne m'appartient-elle pas un peu a
cause de cela? Laisse-moi le croire, laisse-moi etre un peu vaine d'avoir
consacre quelques fatigues de mon inutile et sotte existence a sauver
celle d'un homme tel que toi."
Ces conseils de temperance et de sobriete concordent avec une lettre que
Pagello ecrivait, un peu plus tard, au "cher Alfred" et ou il celebre
"cette reciprocite d'affection qui nous liera toujours de liens sublimes
pour nous, et incomprehensibles aux autres." Il rappelle au poete la
necessite de "resister a ces tentations de desordres qui sont les
compagnes d'une nature trop impetueuse." Et il conclut: "Lorsque vous etes
entoure d'une douzaine de bouteilles de champagne, souvenez-vous de cette
petite barrique d'eau de gomme arabique que je vous ai fait vider a
l'hotel Danieli, et je suis certain que vous aurez le courage de les fuir!
Adieu, mon bon Alfred. Aimez-moi comme je vous aime. Votre veritable ami,
_Pietro Pagello_."
Dans la correspondance de George Sand et d'Alfred de Musset, on a pu
observer que les preoccupations litteraires et meme les interets de
librairie avaient leur place. Le 29 avril, elle lui fait tenir le
manuscrit precedemment annonce, et l'on voit toute l'importance qu'elle y
attache. L'amour-propre d'auteur se complique d'une arriere-pensee
sentimentale: "Je t'envoie la _Lettre_ dont je t'ai parle. Je l'ai ecrite
comme elle m'est venue; sans songer a tous ceux qui devaient la lire. Je
n'y ai vu qu'un cadre et un pretexte pour _parler tout haut de ma
tendresse pour toi_ et pour fermer _tout a coup_ la gueule a ceux qui ne
manqueront pas de dire que tu m'as ruinee et abandonnee. En la relisan
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