out a fait venue. Les boutiques
s'eclairaient. Les employes du gaz, leur longue perche sur l'epaule,
passaient en courant, et, un a un, sur toute la ligne des boulevards,
les reverberes s'illuminaient.
Inquiet de ces clartes soudaines, M. de Tregars entraina Mlle Gilberte
un peu plus loin, jusqu'a une sorte d'esplanade precedant l'escalier
qui conduit a la rue Amelot.
Et une fois la, s'accotant contre la rampe de fer:
--Deja, poursuivit-il, lors de la mort de mon pere, je soupconnais les
manoeuvres abominables dont il a ete victime. Il me parut indigne de
moi de verifier mes soupcons. J'etais seul au monde, je n'avais
que des besoins restreints, j'etais persuade que mes recherches me
donneraient, dans un avenir tres-prochain, une fortune bien superieure
a celle que j'abandonnais. Je trouvai quelque chose de noble et de
grand, et qui flattait ma vanite, a renoncer a tout, sans discussion,
sans proces, et a consommer ma ruine d'un trait de plume. Seul, parmi
mes amis, le comte de Villegre eut le courage de me dire que c'etait
la une coupable folie, que le silence des dupes est la force des
fripons, que mes dedains feraient bien rire les gredins qu'ils
enrichissaient. Je repondis que je ne voulais pas voir le nom de
Tregars mele a des debats honteux, et que me taire, c'etait honorer la
memoire de mon pere. Triple niais! Le seul moyen d'honorer mon pere,
c'etait de le venger, c'etait d'arracher ses depouilles aux miserables
qui avaient cause sa mort; aujourd'hui, je le vois clairement... Mais
avant de rien entreprendre, Gilberte, j'ai voulu prendre votre avis.
Debout, les bras pendants, la jeune fille ecoutait de toutes les
forces de son attention.
Elle en etait arrivee a confondre si completement, dans sa pensee,
son avenir et celui de M. de Tregars, qu'elle ne voyait rien
d'extraordinaire a ce qu'il la consultat, lorsqu'il s'agissait de la
realisation de leurs esperances, et qu'elle ne s'etonnait pas de se
voir la, avec lui, deliberant.
--Il faudrait des preuves, objecta-t-elle.
--Je n'en ai pas, malheureusement, repondit M. de Tregars, je n'en ai
pas, du moins, de positives, et telles qu'il les faut pour s'adresser
a la justice. Mais je crois pouvoir m'en procurer. Mes soupcons
d'autrefois sont devenus une certitude. Le meme hasard qui m'a permis
de vous delivrer des obsessions de M. Costeclar, a mis entre mes mains
des indications precieuses...
--Alors il faut agir, prononca resolument Mlle Gilberte...
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