lberte sentait des bouffees de joie et
d'orgueil lui monter du fond de l'ame.
--Qui jamais imaginerait, pensait-elle, que ce jeune homme qui s'en
va la-bas est mon fiance, et que peut-etre le jour n'est pas loin ou,
devenue sa femme, je m'appuierai a son bras? Qui se douterait que
toutes mes pensees lui appartiennent, et que c'est pour moi que,
renoncant aux ambitions de toute sa vie, il poursuit un nouveau but?
Qui donc soupconnerait que c'est pour Gilberte Favoral que le marquis
de Tregars se promene rue Saint-Gilles?...
Et, positivement, cette promenade au Marais n'etait pas sans quelque
merite, car l'hiver etait venu, etendant une epaisse couche de boue
sur le pave de toutes ces petites rues, qu'oublient toujours les
balayeurs.
L'interieur du caissier du _Credit mutuel_ avait repris ses habitudes
d'avant la guerre, sa somnolente monotonie a peine troublee par
les diners du samedi, par les naivetes de M. Desclavettes ou les
calembours du papa Desormeaux.
Maxence, cependant, n'habitait plus avec ses parents.
Rentre a Paris aussitot apres la Commune, et ne se sentant plus
d'humeur a subir le despotisme paternel, Maxence etait alle s'etablir
dans un petit appartement du boulevard du Temple, et il avait fallu
les vives instances de sa mere pour le decider a venir tous les soirs
diner rue Saint-Gilles.
Fidele au serment fait a sa soeur, il travaillait ferme, mais il n'en
etait guere plus avance. Le moment etait loin d'etre propice,
et l'occasion que tant de fois il avait laisse echapper ne se
representait plus.
Faute de mieux, il gardait son emploi d'auxiliaire au chemin de fer,
et comme deux cents francs par mois ne lui suffisaient pas, il passait
une partie des nuits a copier des roles pour le successeur de Me
Chapelain.
--Il te faut donc bien de l'argent? lui disait sa mere, lorsqu'elle
lui voyait les yeux un peu rouges.
--Tout est si cher! repondait-il avec un sourire qui valait une
confidence et que pourtant Mme Favoral ne comprenait pas.
Il n'en avait pas moins, petit a petit, et par a-compte, paye ses
creanciers. Le jour ou il tint enfin leurs factures acquittees, il les
presenta fierement a son pere, le priant de le faire entrer au _Credit
mutuel_, ou, avec infiniment moins de peine, il gagnerait bien
davantage.
Mais des les premiers mots, M. Favoral se mit a ricaner.
--Me supposez-vous donc une dupe aussi facile que votre mere?
s'ecria-t-il... Croyez-vous donc que je ne sais pas la vi
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