continua Marius.
La tete bleme de M. de Costeclar, comme une chose inerte, oscillait
sur son col brise selon la mode de la veille.
--Je suis, repeta-t-il, le dernier des miserables...
--Et je vous supplie...
Mais le coeur de Mlle Gilberte se soulevait de degout.
--Assez!... interrompit-elle.
Ne sentant plus sur son epaule la lourde main de M. de Tregars,
l'homme de Bourse se releva peniblement. Telle etait sa paleur livide,
qu'on eut dit tout son sang tourne en fiel.
Essuyant du bout de son gant les genoux de son pantalon, et
retablissant, tant bien que mal, l'harmonie fort compromise de sa
toilette:
--Est-ce donc un acte de courage, grommelait-il, que d'abuser de sa
force physique?
Deja M. de Tregars etait redevenu maitre de soi, et Mlle Gilberte
croyait lire sur son visage le regret de sa violence.
--Valait-il mieux, dit-il, faire usage de ce que vous savez?...
M. Costeclar joignit les mains.
--Vous ne feriez pas cela! s'ecria-t-il. A quoi cela vous
avancerait-il, de me perdre?...
--A rien, repondit M. de Tregars, vous avez raison. Mais vous?...
Et plongeant son regard dans les yeux de M. Costeclar:
--Si vous pouviez me servir, interrogea-t-il, le feriez-vous?
--Peut-etre!... pour rentrer en possession des papiers que vous avez.
M. de Tregars reflechissait.
--Apres ce qui vient de se passer, dit-il enfin, il nous faut une
explication. Attendez-moi chez vous, avant une heure, j'y serai...
M. Costeclar etait devenu plus souple que ses gants gris perle. Souple
a ce point que c'en etait inquietant.
--Je suis a vos ordres, monsieur, repondit-il a M. de Tregars.
Et s'inclinant jusqu'a terre devant Mlle Gilberte, il quitta le salon,
et on entendit presque aussitot se refermer sur lui la porte de la
rue.
--Ah! le miserable! s'ecria la jeune fille, affreusement bouleversee.
Marius, avez-vous vu quel regard il nous a lance en sortant?
--Je l'ai vu, repondit M. de Tregars.
--Cet homme nous hait. Il ne reculerait pas devant un crime pour se
venger de l'atroce humiliation qu'il vient de subir.
--Je le crois comme vous.
Mlle Gilberte eut un geste desole.
--Pourquoi l'avoir traite si cruellement? murmura-t-elle.
--Je m'etais promis et il eut ete politique de rester calme. Mais
il est de ces outrages abominables qu'un homme de coeur ne peut pas
endurer. Je ne regrette pas ce que j'ai fait.
Un long silence suivit, et ils restaient debout, en face l'un
de l'autre, oppr
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