e bord du trottoir, dans des chaises, les flaneurs alignes
respiraient la brise tiede en regardant passer le monde.
Jamais a voir tout ce mouvement, ce luxe, ce bruit, cet entrain de
plaisir, on ne se fut doute qu'on venait de traverser les terribles
annees de 1870 et de 1871. On eut ete tente de croire a un cauchemar
sinistre, si on n'eut apercu, n'attestant que trop la realite des
desastres, d'un cote, la silhouette des Tuileries incendiees,
de l'autre les echafaudages des ouvriers occupes a reparer
l'Arc-de-Triomphe...
Du fond de son fiacre, Maxence ne perdait pas de vue Mlle Lucienne.
Elle faisait sensation, evidemment.
Les hommes s'arretaient pour la regarder, d'un air d'admiration
ebahie, les femmes se penchaient hors de leur voiture pour la mieux
voir.
--Ou va-t-elle ainsi? se demandait Maxence.
Elle se rendait au bois, et bientot sa voiture s'engagea dans
l'interminable file des voitures qui tournaient au pas dans la grande
allee.
Suivre a pied devenait plus simple. Maxence envoya son fiacre
l'attendre a quelque distance, et s'engagea dans l'allee des pietons
qui serpente autour des lacs.
Il n'y avait pas fait cinquante pas qu'il s'entendit appeler.
Il se retourna, et a deux longueurs de canne, apercut M. Saint-Pavin
et M. Costeclar.
C'est a peine si Maxence connaissait M. Saint-Pavin pour l'avoir vu
trois ou quatre fois rue Saint-Gilles, et il execrait M. Costeclar.
Pourtant, il avanca.
La voiture de Mlle Lucienne etait prise dans la file, il etait certain
de la rejoindre quand bon lui semblerait, et il se trouvait dans une
de ces dispositions d'esprit ou toute occasion parait bonne d'echapper
a ses reflexions, ou on decouvre du charme au visage d'un ennemi, ou
on ecoute avec interet l'inepte bavardage d'un sot.
--C'est un miracle, que de vous rencontrer ici, mon cher Maxence!...
s'ecria M. Costeclar, assez haut pour faire tourner la tete a
plusieurs personnes.
Occuper autrui de soi, quand meme et a n'importe quel prix, etait la
grande preoccupation de M. Costeclar.
On le devinait rien qu'a sa mise, a la cambrure de son chapeau, aux
rayures eclatantes de sa chemise, a son col ridicule, a ses manchettes
exagerees, a ses bottes, a ses gants, a sa canne, a tout enfin!...
--Si vous nous voyez sur nos jambes, ajouta-t-il, c'est que nous
avons tenu a marcher un peu. Ordonnance du docteur, mon tres-cher! Ma
voiture est la-bas, tenez, derriere ces arbres; reconnaissez-vous mes
pomm
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