repondis-je.
Elle eclata de rire, ainsi qu'une autre vieille dame de ses amies, qui
assistait a ma presentation, et il me souvient que mon petit orgueil
s'offensait beaucoup de leur hilarite. Je croyais qu'elles se
moquaient de moi.
--Ce n'est pas un nom, me dirent-elles enfin, c'est un sobriquet...
--Je n'en ai pas d'autre.
Elles parurent confondues, repetant a satiete que c'etait inoui, qu'on
n'avait pas idee d'une chose pareille dans la banlieue de Paris, et,
seance tenante, elles se mirent a me chercher un nom.
--Ou es-tu nee? me demanda ma nouvelle maitresse.
--A Louveciennes.
--Eh bien! dit l'autre, il faut l'appeler Louvecienne.
Une longue discussion s'en suivit, qui m'irritait si fort, que j'avais
envie de m'enfuir, et enfin il fut convenu que je m'appellerais non
pas Louvecienne, mais Lucienne,--et Lucienne je suis restee.
Il ne fut pas question de bapteme, puisque ma nouvelle maitresse etait
juive.
C'etait une femme excellente, bien que le chagrin qu'elle avait
ressenti de la perte de son mari eut quelque peu trouble ses facultes.
Des qu'il fut decide que je lui restais, elle voulut passer en revue
mon trousseau. Je n'en avais pas a lui montrer, ne possedant au monde
que les haillons que j'avais sur le dos. Tant que j'etais restee chez
ma maitresse blanchisseuse, j'avais acheve d'user ses vieilles
robes et je trainais aux pieds les savates que les ouvrieres
m'abandonnaient. Jamais je n'avais porte d'autre linge que celui que
j'empruntais d'autorite aux pratiques, systeme economique etabli chez
beaucoup de blanchisseuses.
Consternee de mon denuement, ma nouvelle maitresse envoya chercher
une couturiere, et lui commanda sur-le-champ de quoi me vetir et me
changer.
Depuis la mort des pauvres maraichers qui m'avaient elevee, c'etait la
premiere fois que quelqu'un s'occupait de moi autrement que pour en
tirer un service.
J'en fus emue jusqu'aux larmes, et dans l'exces de ma reconnaissance,
il m'eut ete doux de mourir pour cette vieille femme si bonne.
Ce sentiment me donna la constance de supporter sans degout son
caractere. Il etait difficile. Elle avait des manies singulieres,
des fantaisies deconcertantes et des exigences ridicules souvent ou
exorbitantes. Je m'y pliais de mon mieux.
Comme elle avait deja deux domestiques, une cuisiniere et une femme
de chambre, je n'avais pas, chez elle, d'attributions determinees.
Je l'accompagnais a la promenade et quand elle sortait en v
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