e le reste du temps je trouverais a m'employer dans une
fabrique de parfumerie, dont le contremaitre etait son client.
J'acceptai. Nous etions au samedi. Des le lendemain, j'entrepris cette
rude besogne de servante d'auberge, resignee d'avance a toutes les
brutalites, et ce qui est pis, aux ignobles galanteries des ivrognes.
Je parlai aussi au contre-maitre, et des le lundi, je fus admise a la
fabrique, et occupee, avec une quinzaine d'autres ouvrieres, a coller
des etiquettes, et a envelopper des savons ou de la poudre de riz.
Ce n'est guere penible, en apparence; ce ne l'est pas du tout en
realite, quand on a l'habitude. Mais il faut l'habitude. Vivre
continuellement au milieu des parfums les plus violents donne, dans
les commencements, des maux de tete terribles, et chaque soir je
rentrais avec la fievre, et malade de tels vertiges, que je ne pouvais
plus ni manger ni dormir.
Ce n'etait pas la le pis. Les autres ouvrieres, mes camarades, etaient
presque toutes perdues de moeurs, et affectaient un cynisme qui
depassait de beaucoup celui des ivrognes que je servais le lundi.
J'eus l'imprudence de laisser voir l'insurmontable degout que
m'inspiraient leurs propos et leurs chansons ehontees. Des lors, je
devins une mijauree, on declara que je "faisais ma tete," on decida
qu'il fallait m'aguerrir, et ce fut a qui tacherait de me revolter par
les pires obscenites. J'ai vu d'autres ateliers depuis; dans presque
tous, c'est ainsi.
Je tins bon, cependant.
Je gagnais quarante sous par jour, j'etais logee et nourrie gratis,
mes pourboires du lundi et du dimanche s'elevaient souvent a cinq
francs; en moins de trois mois j'avais pu me vetir decemment, me
commencer un trousseau, et je voyais avec une immense fierte grossir
dans un coin de mon tiroir un petit pecule.
Je commencais a respirer, quand tout a coup, la fabrique ferma. Le
fabricant avait fait faillite.
D'un autre cote, les affaires du marchand de vins avaient pris un
developpement si considerable, qu'un garcon lui devenait necessaire et
qu'il m'engagea a chercher fortune ailleurs. Je cherchai.
Une vieille femme, notre voisine, me parla d'une place, chez des
bourgeois de Bougival, ou je serais tres-bien, affirmait-elle.
Surmontant mes repugnances, je m'y presentai, et je fus accueillie. Je
devais gagner trente francs par mois.
La place eut pu n'etre pas rude. Les maitres n'etaient que trois, le
mari, la femme et un fils de vingt-cinq ans. Tous les ma
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