a porte, qu'un valet venait
d'ouvrir:
--Allez, disait-il, soyez tranquille, je dirai a ma femme que je vous
ai vue, retirez-vous...
Je me retirai, en effet, et je n'avais pas fait dix pas dans la cour,
que je l'entendis crier a ses domestiques:
--Vous voyez bien cette mendiante? Le premier de vous qui lui
laisserait franchir le seuil de ma porte, serait chasse a l'instant...
Une mendiante, moi! Ah! le miserable! Je me retournai pour lui jeter
son aumone a la face, mais deja il avait disparu et je ne trouvai
devant moi que les visages stupidement gouailleurs des valets.
Je sortis donc. Mais a mesure que la marche dissipait ma colere, je
m'applaudissais d'avoir ete empechee de suivre l'inspiration de mon
orgueil blesse.
--Pauvre fille! me disais-je, ou en serais-tu a cette heure? Tu
n'aurais plus qu'a choisir entre le suicide et la plus vile debauche;
tandis que te voici desormais au-dessus de la misere.
Je passais alors devant l'etablissement d'un petit traiteur. J'y
entrai. J'avais grand faim, n'ayant pour ainsi dire rien pris depuis
plusieurs jours. J'avais hate aussi de compter mon tresor.
Le baron de Thaller m'avait donne neuf cent trente francs.
Je n'en revenais pas, de me voir en possession d'un telle somme, qui
depassait de beaucoup mes ambitions les plus hautes et qui me semblait
inepuisable. J'en avais comme des eblouissements.
--Et cependant, pensais-je, si M. de Thaller eut eu aussi bien dix
mille francs dans ses poches, il me les eut donnes de meme.
Comment expliquer cette etrange generosite? D'ou venait sa stupeur,
en m'apercevant, puis sa colere, son trouble et cette hate de se
debarrasser de moi? Comment un homme qui devait avoir la tete pleine
des plus grands soucis, s'etait-il si parfaitement souvenu de moi et
de la lettre que j'avais ecrite a sa femme? Pourquoi, apres s'etre
montre si liberal, m'avait-il si severement consignee a sa porte?
C'est en vain que je me torturais l'esprit a chercher une explication
a une chose inexplicable.
Je finis par me dire que sans doute je m'etais abusee, que j'avais
mal vu, que j'avais pris pour des realites les chimeres de mon
imagination.
Et je ne me preoccupai plus que de l'emploi de ma soudaine fortune.
Le jour meme, je me louai une petite chambre, rue du Faubourg
Saint-Denis, ou je m'achetai une machine a coudre. Et des la fin de la
semaine, j'avais de l'ouvrage devant moi pour plusieurs mois...
Ah! cette fois, il me semblait bie
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