:
--Il faut que je te parle, me dit-elle. Si tu demeures aux environs,
allons chez toi. Tant pis pour le service!
Je l'amenai ici, et aussitot elle se mit a s'excuser en pleurant de
sa conduite passee, me suppliant de lui rendre mon amitie. Comme je
l'avais prevu, il y avait longtemps qu'elle avait oublie le calicot,
cause de notre rupture, et c'est avec le dernier mepris qu'elle en
parlait. En ce moment, elle aimait pour tout de bon, declarait-elle,
un tapissier-decorateur qui etait capitaine de la garde nationale.
C'etait a lui qu'elle devait d'etre cantiniere, et elle m'offrait une
situation pareille, si le coeur m'en disait.
Mais le coeur ne m'en disait pas. Et comme cependant, je me plaignais
de ne pouvoir trouver de travail, elle me jura qu'elle m'en aurait,
par son capitaine, qui etait un homme tres-influent.
Par lui, en effet, j'obtins quelques douzaines de vareuses. C'etait
assurement fort mal paye, mais le peu que je gagnais etait toujours
autant de moins a prendre sur mes pauvres ressources.
A cela, je dus de ne pas trop souffrir pendant le siege.
Mes ennemis avaient-ils perdu ma piste ou avaient ils quitte Paris?
Le fait est que nulle tentative nouvelle ne trahit leur haine, en un
moment ou il me semblait que cependant elle eut eu beau jeu.
Apres l'armistice, malheureusement, M. Van Klopen n'etant pas de
retour encore, il me fut impossible de me procurer de l'ouvrage; mes
economies etaient epuisees, et je serais morte de faim pendant la
Commune, sans mon amie des Batignolles.
A diverses reprises, elle m'apporta un peu d'argent et des provisions.
Elle avait abandonne son baril de cantiniere et se croyait fermement
appelee aux plus hautes destinees politiques.
Son capitaine etait devenu colonel, il allait, m'assurait-elle, etre
nomme membre du gouvernement, et il lui avait promis de l'epouser...
L'entree des troupes dans Paris vint mettre fin a son reve
eblouissant.
Un soir, je la vis arriver bleme de peur. Elle se supposait
tres-gravement compromise et me suppliait de la cacher.
Pendant quatre jours, je lui donnai l'hospitalite. Le cinquieme, au
moment ou nous allions nous mettre a table pour diner, des agents
envahirent ma chambre, et nous montrant un mandat d'amener, nous
commanderent de les suivre.
Tel etait, en prononcant ces derniers mots, l'accent de Mlle Lucienne,
que Maxence, instinctivement, se dressa, comme s'il l'eut vue menacee
d'un grand danger et qu'il eut voulu la
|