il me fallut crier au secours de toutes
mes forces pour me debarrasser de lui.
Pour la premiere fois, l'imperturbable sang-froid de la jeune fille se
dementait.
Sa voix tremblait de ressentiment au souvenir de l'injure, sa joue
s'empourprait, ses yeux etincelaient.
Apres une pose d'un moment:
--Le lendemain, poursuivit-elle, je quittai cette maison funeste.
C'est en vain que je cherchai a me placer a Bougival. Sentant le tort
que leur ferait la verite si elle venait a etre connue, mes patrons
prirent l'avance en me calomniant. Tirant parti de l'histoire de mon
arrestation, que je leur avais contee, ils repondaient aux gens qui
allaient aux renseignements, que j'etais une creature perdue, et que
j'avais deja subi des condamnations pour vol.
Je ne pouvais lutter. Je resolus de chercher une place a Paris.
J'etais exasperee, je roulais dans mon esprit toutes sortes de projets
de vengeance, mais j'etais sans inquietude. Je possedais une grosse
malle pleine de bons effets et cent francs d'economies...
Sur l'indication qu'une servante m'avait donnee, j'allai tout droit,
en arrivant a Paris, m'adresser a un bureau de placement de la rue du
Faubourg-Saint-Martin.
J'y fus recue a bras ouverts, par une vieille femme extremement
affable, qui, apres m'avoir bien examinee et questionnee, me promit
une condition merveilleuse, et m'engagea en attendant, a prendre
pension chez elle.
Dans le fait, sa maison n'etait qu'un hotel garni, et nous etions la
une soixantaine de domestiques sans place, qu'elle mettait coucher
dans d'immenses dortoirs. Le prix de la nourriture etait en apparence
modique; mais comme, dans ce prix, n'etaient compris ni le vin, ni le
dessert, ni quantite d'autres choses, on se trouvait, en definitive,
depenser plus que dans un hotel passable.
Elle vendait aussi a ses pensionnaires de l'absinthe, du cafe et de la
biere, et les soirees se passaient en bavardages interminables, car
c'etait a qui se vanterait de bons tours joues aux maitres, et les
vieilles, les rouees, enseignaient aux plus jeunes l'art d'exploiter
habilement les maitres, de faire danser l'anse du panier et chanter
les fournisseurs...
Cependant, le temps passait, et cette fameuse condition qui m'etait
tant promise ne se trouvait pas. Chaque matin, la placeuse
me remettait un certain nombre d'adresses, j'y courais, mais
regulierement on debutait par me poser des questions si etranges, que
je m'enfuyais rouge de colere et de hon
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