tins, le pere
et le fils, qui etaient employes a Paris, partaient par le premier
train et ne rentraient plus que pour diner, vers six heures. Je
restais donc seule avec la femme, toute la journee. C'etait,
malheureusement, une personne d'un caractere difficile, acariatre et
froidement mechante. Comme jusqu'alors elle s'etait servie elle-meme,
et que j'etais la premiere domestique qu'elle eut, elle etait
tourmentee d'un insatiable besoin de commandement, et croyait par
son despotisme, ses exigences et ses dedains, montrer une immense
superiorite. Elle etait de plus d'une defiance extraordinaire,
persuadee que je la volais, et il ne se passait pas de semaine qu'elle
n'imaginat quelque pretexte de fouiller ma malle pour s'assurer que je
n'y cachais pas ses serviettes ou ses six couverts d'argent.
Ayant eu la naivete de lui dire que j'avais ete blanchisseuse, elle en
abusait. Il me fallait laver et repasser tout le linge de la maison,
et encore elle ne cessait de me reprocher d'user trop de savon et trop
de charbon.
Je ne me deplaisais pourtant pas trop dans cette maison. J'y avais,
sous les combles, une chambrette que je trouvais charmante, et que
je prenais plaisir a orner. Libre de m'y retirer de bonne heure, j'y
passais des soirees delicieuses, a coudre ou a lire...
Mais la chance etait contre moi.
J'avais plu au fils de la maison, et il avait resolu de faire de moi
sa maitresse. Bien que n'ayant pas seize ans, j'avais de la vie une
trop cruelle experience pour ne l'avoir pas devine tout d'abord, et
j'opposai la plus froide reserve aux prevenances par lesquelles
il esperait m'amadouer. Il n'en fut pas decourage, et bientot ses
persecutions devinrent telles, que je crus devoir me plaindre a ma
patronne.
Elle m'ecouta d'un air goguenard, et quand j'eus acheve:
--Vous etes degoutee, ma mie! me dit-elle simplement.
J'en faillis tomber de mon haut, car je compris que cette femme eut
trouve commode et peut-etre economique, que moi, sa servante, sous son
toit, je devinsse la maitresse de son fils. Et cependant, elle avait
un grand renom d'honnetete, et elle ne cessait de parler de la
severite de ses principes.
Mon persecuteur sut-il ce que m'avait repondu sa mere? Je le crois,
car de ce moment il devint plus hardi. Il ne menagea plus rien, et
je ne tardai pas a comprendre que je n'etais plus en surete dans ma
chambre. Il venait, la nuit, frapper a ma porte, et une fois qu'il la
fit sauter d'un coup d'epaule,
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