en ne pouvait moins me convenir. Mais comment resister?
Elle etendit par terre quelques haillons sur lesquels je couchai, et
des le lendemain, vetue de ma plus mauvaise robe, les pieds dans
des sabots qu'elle etait allee m'acheter et qui me meurtrissaient
affreusement, il me fallut m'atteler a la charrette, avec une bretelle
de cuir qui me dechirait les epaules et la poitrine.
C'etait une abominable creature, que cette marchande, et je ne tardai
pas a reconnaitre que son visage repoussant ne trahissait que trop
ses ignobles instincts. Apres avoir mene une existence inavouable,
vieille, ne gardant plus rien de la femme, avilie, repoussee de tous,
tombee dans la plus crapuleuse misere, elle avait adopte ce metier de
revendeuse des quatre saisons, et elle l'exercait juste assez pour se
gagner sa ration de pain de chaque jour.
Enragee de son sort, c'etait pour elle comme une revanche que d'avoir
a sa discretion une pauvre jeune fille telle que moi, et elle prenait
un detestable plaisir a m'accabler de mauvais traitements, ou a
essayer de me salir l'imagination par les plus immondes propos...
Ah! si j'avais su comment fuir, et ou me refugier! Mais, abusant de
mon ignorance de la vie, cette execrable femme m'avait persuade qu'au
premier pas que je ferais seule, je serais arretee par la gendarmerie.
Et je ne voyais personne au monde a qui demander protection. Et je
commencais a apprendre que la beaute, pour une pauvre fille, est un
present fatal...
Le temps passait, et je restais.
Petit a petit, l'atroce megere avait vendu tout ce que je possedais,
robes, linge, bijoux, et j'en etais reduite a des haillons presque
aussi miserables que ceux d'autrefois, quand j'etais apprentie.
Chaque matin, par la pluie ou le vent, par le soleil ou la gelee, nous
partions, roulant notre charrette, et nous nous en allions, criant
nos legumes, tout le long de la Seine, depuis Courbevoie jusqu'a
Port-Marly, dans les villages, et a la porte des maisons de campagne.
Je ne decouvrais pas de fin a cette effroyable vie, quand un soir, le
commissaire de police se presenta a notre taudis et nous commanda de
le suivre.
Il nous conduisit en prison, et je me trouvai jetee au milieu d'une
centaine de femmes, dont la figure, les paroles, les gestes, la colere
ou la gaiete me faisaient peur.
La marchande des quatre saisons avait commis un vol, et j'etais
accusee de complicite. Il me fut facile, heureusement, de demontrer
mon innocence.
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