a couper court aux
genereuses velleites de leur tante, en obtenant qu'elle me renvoyat.
Mais c'est en vain que pendant pres d'une annee leur haine s'epuisa en
savantes manoeuvres.
L'instinct de la conservation aiguisant ma perspicacite, j'avais
penetre leurs intentions, et je luttais de toutes mes forces.
C'etait un interet dans ma vie. Chaque jour, pour me rendre plus
indispensable, j'imaginais quelque nouvelle prevenance.
Ils ne venaient guere a La Jonchere qu'une fois par semaine, j'y etais
toujours, je luttais avec succes. A diverses reprises, j'avais entendu
ma bienfaitrice leur defendre de lui parler de moi, et meme les
menacer de leur fermer sa maison, s'ils s'obstinaient a la tourmenter
a mon sujet.
Je touchais probablement au terme des tracasseries, quand ma pauvre
vieille maitresse tomba malade. En quarante-huit heures, elle fut au
plus mal. Elle gardait toute sa connaissance, mais precisement parce
qu'elle avait la conscience du danger, la peur de la mort la rendait
folle.
Ses nieces etaient venues s'installer autour de son lit, defense
expresse m'etait faite d'entrer dans sa chambre, et elle n'osait deja
plus faire prevaloir sa volonte.
Les parents avaient compris leur avantage, et que c'etait la une
occasion sans pareille d'en finir avec moi.
Gagnes d'avance, evidemment, les medecins declarerent a ma pauvre
bienfaitrice que l'air de La Jonchere lui etait fatal, et que son
unique chance de salut etait d'aller s'etablir a Paris, chez un de ses
neveux. On l'y porterait a bras, ajoutaient-ils, elle se retablirait
tres-vite et elle irait ensuite consolider sa convalescence dans
quelque ville du Midi.
Son premier mot fut pour moi. Elle ne voulait pas se separer de moi,
protestait-elle, et tenait absolument a m'emmener.
Ses neveux gravement lui representerent que c'etait impossible, qu'il
ne fallait pas songer a s'embarrasser de moi, que le plus simple etait
de me laisser a La Jonchere, et que d'ailleurs ils se chargeaient de
me trouver une bonne condition.
La malade lutta longtemps, et avec un courage dont je ne l'aurais pas
crue capable. Dix fois, en voyant ce qu'elle souffrait de ce
cruel debat, je fus sur le point d'y mettre fin en m'enfuyant.
L'amour-propre me retint, et non certes la cupidite.
Mais les autres l'obsedaient. Les medecins ne cessaient de lui repeter
qu'ils ne repondaient de rien, si on ne suivait pas leurs avis. Elle
avait peur de mourir...
Elle ceda en pleurant...
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