s eprouve un decouragement pareil a celui qui
m'aneantit, lorsque je me vis seule, sur cette route, ne sachant ou
aller ni que devenir.
Je m'etais assise sur une de mes malles.
Le temps etait froid et sombre. De gros nuages charges de neige
semblaient toucher la cime depouillee des arbres de l'avenue. Les
passants etaient rares.
En arrivant devant moi, ils ralentissaient le pas, se demandant sans
doute ce que je faisais la, et longtemps apres m'avoir depassee, ils
retournaient encore la tete.
Je pleurais.
Je sentais vaguement que, sans le soupconner, ma pauvre bienfaitrice
m'avait rendu un service fatal. Elle m'avait desaccoutumee de la
misere et privee de cette experience que donne la lutte de chaque
jour. Elle avait fait des mains oisives de mes mains calleuses jadis,
et durcies par le battoir. En ouvrant mon esprit aux aspirations
genereuses et nobles, en m'inspirant le sentiment du bien et du beau,
en me donnant ce que jamais je n'aurais eu sans elle: du coeur, elle
avait decuple en moi la faculte de souffrir. Pauvre chere maitresse!
Elle m'avait desarmee, et le combat recommencait.
Il me montait des nausees a la gorge en songeant a ce que j'avais subi
chez ma maitresse blanchisseuse, et a l'idee de ce que me reservait
l'avenir de tortures et d'humiliations, je souhaitais la mort.
La Seine etait proche. Pourquoi n'y pas courir? Pourquoi n'y pas
terminer cette existence de misere que j'entrevoyais!
Voila quelles etaient mes reflexions, quand une femme de Rueil, qui
etait marchande des quatre saisons et que je connaissais de vue, vint
a passer, poussant sur le pave boueux sa petite charrette de legumes.
M'apercevant, elle s'arreta, et adoucissant sa voix rauque:
--Que faites-vous la, ma mignonne? me demanda-t-elle.
Maitrisant a grand'peine mes sanglots, je lui exposai en peu de mots
ma situation. Elle en parut plus surprise que touchee.
--Voila ce que c'est que la vie, me dit-elle, on a des hauts et des
bas.
Et s'approchant:
--Que vas-tu faire? interrogea-t-elle.
Cette familiarite soudaine eut suffi pour m'eclaircir sur l'horreur de
ma chute. Elle m'avait dit: vous, d'abord; sachant ma detresse, elle
me tutoyait.
--Je ne sais pas, repondis-je.
Apres un petit moment de reflexion:
--Tu ne peux pas rester la, reprit-elle, les gendarmes t'arreteraient.
Viens avec moi, nous nous consulterons a la maison et je te donnerai
des conseils.
J'etais a une de ces heures d'effondrement o
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