mpliments! s'ecria M. Desormeaux. Et quel est ce hardi
gaillard?
Le caissier leva les epaules.
--Un gentilhomme, parbleu! repondit-il. Est-ce que ce n'est pas de
tradition? Est-ce que des qu'un financier a son million, il ne se met
pas en quete d'un noble ruine pour lui donner sa fille?
Un de ces pressentiments douloureux comme il en tressaille aux
derniers replis de l'ame, fit palir Mlle Gilberte. Il lui annoncait,
ce pressentiment, une chose absurde, ridicule, invraisemblable, et
cependant, elle etait sure qu'il ne la trompait pas. Elle en etait si
sure, qu'elle se leva sous pretexte de chercher quelque chose dans
le buffet, en realite pour dissimuler l'emotion affreuse qu'elle
prevoyait.
--Et ce gentilhomme?... interrogea M. Chapelain.
--Est un marquis, s'il vous plait. M. le marquis de Tregars.
Eh bien! oui, c'est ce nom que Mlle Gilberte attendait, et
tres-heureusement, car elle eut assez de puissance sur soi pour
retenir le cri qui jaillissait de sa gorge.
--Cependant, le mariage n'est pas encore fait, poursuivait M. Favoral.
Ce marquis n'est pas si ruine qu'on le puisse faire passer par tout
ce qu'on voudrait. Il est vrai que la baronne y tient, oh!
considerablement.
Une discussion qui s'eleva empecha Mlle Gilberte d'en apprendre
davantage, et des que le diner, qui lui parut eternel, fut fini, elle
se plaignit d'un violent mal de tete, et se refugia dans sa chambre.
Elle "tremblait la fievre," ses dents claquaient. Et cependant elle ne
pouvait croire que Marius la trahit, ni qu'il eut la pensee d'epouser
une jeune fille telle que M. Favoral l'avait decrite, et pour de
l'argent! Pouah! Non, ce n'etait pas admissible.
Mais elle avait beau se rappeler que Marius lui avait fait jurer de
ne rien croire de ce qu'on dirait de lui, sa journee du dimanche fut
affreuse, et elle faillit sauter au cou du signor Gismondo, quand en
lui donnant lecon, le lundi:
--Mon pauvre eleve, lui dit-il, est desole. On a parle pour lui d'un
mariage dont l'idee seule lui fait horreur, et il tremble que le bruit
n'en vienne jusqu'a une fiancee qu'il a dans son pays et qu'il adore
uniquement.
Apres cela, Mlle Gilberte devait etre rassuree. Elle l'etait. Et
pourtant, il lui restait au coeur une invincible tristesse. Que
ce projet de mariage se rattachat au plan combine par Marius pour
reconquerir sa fortune, c'est ce dont elle ne pouvait douter; mais
alors, comment s'adressait-il a M. de Thaller? Quels etaient donc
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