se respectait trop pour ne pas deposer chaque annee quelques
milliers de louis aux pieds de quelque fille assez en vue pour
occuper les journaux de sa personne et de ses equipages. M. Favoral
n'approuvait pas le baron, il le declarait.
Mais c'est avec une sorte d'amertume haineuse qu'il parlait de la
baronne. Il lui etait impossible, affirmait-il a ses hotes, d'evaluer,
meme approximativement, les sommes fabuleuses gaspillees par elle,
eparpillees, jetees a tous les vents. Car elle n'etait pas prodigue,
elle etait la prodigalite meme, cette prodigalite idiote, absurde,
inconsciente, qui fond les fortunes en un tour de main, qui ne sait
meme pas demander a l'argent la satisfaction d'un petit besoin, d'un
desir, d'une fantaisie quelconque.
Il citait d'elle des traits inouis, des traits qui faisaient bondir
Mme Desclavettes sur sa chaise, expliquant qu'il tenait ces details de
la confiance de M. de Thaller, qui souvent l'avait charge de payer les
dettes de sa femme, et aussi de la baronne, qui ne se genait pas
pour venir a la caisse lui demander vingt francs, car tel etait
son desordre, qu'apres avoir emprunte toutes les economies de ses
domestiques, souvent elle n'avait pas deux sous a jeter a un pauvre du
fond de sa voiture.
Mme de Thaller ne plaisait guere, non plus, au caissier du _Credit
mutuel_.
Elevee au hasard, a l'office bien plus qu'au salon, jusques vers douze
ans, et plus tard trainee par sa mere n'importe ou, aux courses, aux
premieres representations, aux eaux, aux bains de mers, toujours
escortee d'un escadron de jeunes messieurs de la Bourse, Mlle de
Thaller avait adopte un genre qu'on eut trouve detestable chez
un jeune homme. Des qu'une mode hasardee paraissait, elle se
l'appropriait, ne trouvant jamais rien d'assez excentrique pour se
faire remarquer. Elle montait a cheval, faisait des armes, frequentait
le tir aux pigeons, parlait argot, chantait les chansons de Theresa,
vidait lestement une coupe de champagne et fumait une cigarette...
Les convives etaient ahuris.
--Ah ca, mais ces gens-la doivent depenser des millions, interrompit
M. Chapelain.
M. Favoral tressauta comme si brusquement on lui eut frappe sur
l'epaule.
--Baste! ils sont si riches, repondit-il, si effroyablement riches!...
Il changea de conversation ce soir-la, mais le samedi suivant, des le
commencement du diner:
--Je crois bien, dit-il, que M. de Thaller vient de decouvrir un mari
pour sa fille.
--Tous mes co
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