puis plus de dix ans.
Elle riait et elle pleurait, de plaisir et d'attendrissement, la
pauvre femme, et tout en le drapant sur ses epaules:
--Allez, chers enfants, disait-elle, votre pere, au fond, n'est pas un
mechant homme!
C'est ce dont ils ne paraissaient pas bien convaincus.
--Ce qui est plus sur, objecta Mlle Gilberte, c'est que, pour se
permettre une pareille generosite, il faut que papa soit terriblement
riche.
M. Favoral n'avait pas assiste a cette scene. Les comptes de fin
d'annee le retenaient si imperieusement a sa caisse, qu'il fut
quarante-huit heures sans rentrer. Un voyage qu'il fut oblige de faire
pour M. de Thaller lui prit le reste de la semaine.
Mais, a son retour, il semblait satisfait et tranquille.
Sans abandonner sa situation au _Credit mutuel_, il allait,
racontait-il, s'associer a MM. Jottras, a M. Saint-Pavin, du _Pilote
financier_, et a M. Costeclar, pour exploiter la concession d'un
chemin de fer etranger.
M. Costeclar etait la tete de cette entreprise, dont les enormes
benefices etaient si assures et si clairs, qu'on pouvait les chiffrer
d'avance.
Et a ce sujet:
--Va, tu as eu bien tort, disait-il a Mlle Gilberte, de ne pas te
depecher d'epouser Costeclar quand il voulait de toi. Jamais tu ne
retrouveras un parti qui le vaille. Un homme qui avant dix ans sera
une puissance financiere!...
Le nom seul de Costeclar avait le don d'irriter la jeune fille.
--Je vous croyais brouilles, dit-elle a son pere.
Il dissimula mal un certain embarras.
--Nous l'avons ete, en effet, repondit-il, parce qu'il n'a jamais
voulu me dire pourquoi il se retirait, mais on se raccommode toujours
quand on a des interets communs.
Autrefois, certes, avant la guerre, jamais M. Favoral ne fut entre
dans de tels details. Mais il devenait presque communicatif.
Mlle Gilberte, qui l'etudiait avec l'attention de l'interet en eveil,
croyait reconnaitre qu'il cedait a ce besoin d'expansion plus fort que
la volonte, qui obsede quiconque porte en soi un lourd secret.
Tandis que pendant vingt annees il n'avait pour ainsi dire jamais
souffle mot de la famille de Thaller, voici que maintenant il ne
cessait d'en parler.
Il disait a ses amis du samedi, le train princier du baron, le nombre
de ses domestiques et de ses chevaux, la couleur de ses livrees,
les fetes qu'il donnait, ce qu'il depensait a l'Hotel des ventes en
tableaux et en bibelots, et jusqu'au nom de ses maitresses, car le
baron
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