Credit
mutuel avait du, depuis la guerre, realiser des benefices enormes.
Toutes ses entreprises reussissaient, et il etait sur le point de
lancer un emprunt etranger, qui allait infailliblement remplir ses
caisses a les faire craquer.
M. Favoral, d'ailleurs, se defendait mal de ces accusations d'opulence
cachee. Quand M. Desormeaux lui disait:
--La, voyons, entre nous, franchement, combien avez-vous de millions?
Il avait une si etrange facon de repondre qu'on se trompait bien, que
la conviction des autres s'en affermissait. Et des qu'ils avaient
quelques milliers de francs d'economies, ils s'empressaient de les lui
apporter, pour qu'il les fit valoir, imites en cela par bon nombre de
rentiers du quartier, qui se disaient entre eux:
--Cet homme-la est plus sur que la Banque!
Millionnaire ou non, le caissier du _Credit mutuel_ n'en etait pas
moins de jour en jour plus difficile a vivre.
Si les etrangers, les gens qui n'avaient avec lui que des rapports
superficiels, si ses hotes du samedi eux-memes, ne decouvraient en lui
aucun changement appreciable, sa femme et ses enfants suivaient avec
une surprise inquiete les modifications de son humeur.
Si au dehors il semblait toujours le meme homme, impassible,
meticuleux et grave, il se montrait dans son interieur plus quinteux
qu'une vieille fille, agite, nerveux et sujet a d'inexplicables
lubies.
Apres etre reste des trois ou quatre jours sans desserrer les dents,
tout a coup il se mettait a discourir sur toutes sortes de sujets avec
une agacante volubilite. Au lieu de tremper abondamment son vin,
comme autrefois, il s'etait mis a le boire pur et il en buvait assez
frequemment deux bouteilles a son repas, s'excusant sur le besoin
qu'il avait de se remonter un peu apres des travaux excessifs.
Il lui prenait alors des acces de gaiete grossiere, et il racontait
des anecdotes singulieres, entremelees de mots d'argot que Maxence
etait seul a comprendre.
Le matin du premier de l'an 1872, en se mettant a table pour dejeuner,
il jeta sur la table un rouleau de cinquante louis, en disant a ses
enfants:
--Voila vos etrennes! partagez et achetez-vous tout ce que vous
voudrez.
Et comme ils le regardaient, beants, hebetes de stupeur:
--Eh bien! quoi! ajouta-t-il en jurant, est-ce qu'il ne faut pas de
temps a autre faire danser les ecus?...
Ces mille francs inattendus, Maxence et Mlle Gilberte les employerent
a acheter un chale dont leur mere avait envie de
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