--Eh bien! c'est moi qui l'envoyais, et les volontes qu'il vous a
signifiees etaient les miennes...
--A vous?
--A moi, Marius de Tregars.
Un tressaillement nerveux secoua le maigre corps de M. Costeclar; il
eut comme un mouvement de recul, son oeil instinctivement chercha la
porte.
--Vous voyez, poursuivit Marius, toujours avec la meme douceur, que
nous sommes, vous et moi, de vieilles connaissances. Car vous me
remettez bien, maintenant, n'est-ce pas? Je suis le fils de ce pauvre
marquis de Tregars, qui etait venu a Paris, du fond de sa Bretagne,
avec toute sa fortune, plus de deux millions.
--Je me souviens, fit vivement l'homme de Bourse, je me souviens
parfaitement!...
--Sur les conseils d'habiles gens, le marquis de Tregars se lanca dans
les affaires. Pauvre bonhomme! Il n'y entendait pas malice! Dans
le meme temps qu'il croyait s'enrichir, il perdait tout. Il etait
fermement persuade qu'il avait deja plus que double ses capitaux, le
jour ou ses honorables associes lui demontrerent qu'il etait ruine, et
de plus compromis par certaines signatures imprudemment donnees...
Mlle Gilberte ecoutait bouche beante, se demandant ou en voulait venir
Marius, et comment il pouvait demeurer si calme.
--Ce desastre, continuait-il, fut, a l'epoque, le sujet d'une enorme
quantite de plaisanteries bien spirituelles. Les gens de Bourse ne
pouvaient assez admirer le savoir-faire des hardis financiers qui
avaient si lestement debarrasse de son argent ce candide marquis.
C'etait bien fait pour lui, de quoi se melait-il! Moi, pour empecher
les poursuites dont on menacait mon pere, j'abandonnai tout ce que
j'avais. J'etais fort jeune, et, comme vous le voyez, fort naif. Je
n'en suis plus la. Si pareille aventure m'arrivait aujourd'hui, je
voudrais savoir ce que sont devenus les millions, je palperais les
poches autour de moi, je crierais: au voleur!...
A chaque mot, pour ainsi dire, le malaise de M. Costeclar devenait
plus manifeste.
--Ce n'est pas moi, dit-il, qui ai profite de la fortune de M. de
Tregars.
Du geste, Marius approuva.
--Je sais, maintenant, repondit-il, entre qui ont ete partagees les
depouilles. Vous, monsieur Costeclar, vous en avez tire ce que vous
avez pu, timidement, selon vos moyens. Les requins sont toujours
accompagnes de petits poissons auxquels ils abandonnent les debris
qu'ils dedaignent. Vous n'etiez alors qu'un petit poisson. Vous vous
etes arrange de ce dont ne voulaient pas vo
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