s pouvons dire c'est qu'elle etait habituee a
le considerer comme une chose bien a elle et exclusivement a elle.
L'adulation du nain l'avait inconsciemment conduite a l'egoisme. Elle
etait naivement et sincerement penetree de sa superiorite, bien penetree
de cette pensee que, si elle etait, elle, parfaitement libre de ses
sentiments, libre de le choyer ou de le faire souffrir selon son
caprice, il n'en pouvait etre de meme de lui, qui ne devait avoir aucune
affection en dehors d'elle.
Sur ce point, si elle n'etait pas amoureuse, elle etait du moins fort
exclusive, et, pour mieux dire, jalouse, au point qu'elle eut souffert
a la seule pensee d'une infidelite, voire d'une preference, meme
momentanee.
Mais, tout ceci, le nain l'ignorait. Car, s'il etait discret elle ne
l'etait pas moins. Et c'etait a ce moment qu'une parole de Fausta,
lancee au hasard, pour sonder le terrain, etait venue jeter le trouble
dans son ame jusque-la peut-etre resignee.
Etait-il possible, a present qu'il etait riche, qu'il put se marier
comme tous les autres hommes?
Oserait-il jamais parler et comment serait accueillie sa demande? Ne
souleverait-il pas un eclat de rire general et son pauvre amour, si pur,
si desinteresse, connu de tous, ne ferait-il pas un objet de derision
universelle?
Et Juana? L'aimait-elle?
Juana aimait d'amour ailleurs, et, le rival prefere, il ne le
connaissait que trop.
La voix aigre et grondeuse de la duegne Barbara le tira de sa reverie.
--Sainte Vierge! clamait la matrone, vous voulez donc vous tuer? Mais
que se passe-t-il donc?
--Il ne se passe rien, ma bonne Barbara, j'ai affaire en bas et n'irai
me coucher que lorsque j'aurai fini.
--Ne suis-je plus bonne a vous aider?
--J'ai besoin d'etre seule. Va te coucher. Dans un instant j'irai aussi.
Chico entendit encore de vagues imprecations, le bruit sourd de savates
trainant sur le carreau, puis le bruit d'une porte poussee rageusement.
Un moment de silence se fit. Juana, evidemment, s'assurait que la duegne
obeissait, puis Chico percut le bruit de petits talons claquant sur les
marches de chene sculpte de l'escalier interieur. Il se laissa glisser
de son escabeau et il attendit debout.
La jeune fille penetra dans la cuisine. Sans, dire un mot, elle se
laissa tomber dans un large fauteuil de bois, et, posant le coude sur la
table, elle laissa tomber sa tete dans sa main et resta ainsi, sans un
mouvement, les yeux fixes, dilates, sans une la
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