gent qu'il deposa sur la
table. Il vida ensuite la bourse qu'il tenait de la generosite de don
Cesar et fit son compte a haute voix.
"Cinq mille cent livres, plus quelques reaux", dit-il.
"Il a l'air lugubre, pensa le chevalier. Cinq mille livres constituent
pourtant un assez joli denier. Serait-ce un avare?"
"Je suis riche! riche! repeta le Chico d'un air morne. Et, avec colere:
a quoi me sert cette fortune? Juana ne voudra jamais de moi, puisqu'elle
aime le Francais!"
"Oh! diable! s'ecria Pardaillan dans son for interieur. Voici du
nouveau, par exemple! Je commence a comprendre maintenant. Ce n'est pas
un avare, c'est un amoureux... et un jaloux. Pauvre petit diable!"
"Et le Francais est mort!" continua le Chico.
"Je suis mort? Je veux bien, moi!..."
"Que vais-je faire de tout cela?... Puisque je ne puis avoir Juana,
eh bien, j'emploierai cet or en cadeaux pour elle. Il y a de quoi en
acheter, des bijoux et des casaques richement brodees, et des robes, et
des echarpes, et des mantilles, et des mignons souliers..."
Il rayonnait, le Chico.
"Ou diable l'amour va-t-il se nicher?" pensa Pardaillan.
La joie du nain tomba soudain. Il rala:
"Non! Je ne veux meme pas avoir cette joie. Juana s'etonnerait de me
voir si riche. C'est qu'elle est fine, tiens! Elle devinerait peut-etre
d'ou m'est venue ma richesse. Elle me chasserait, elle me jetterait mes
cadeaux au visage en me traitant d'assassin!"
Et, d'un geste furieux, il balaya le sac qui alla rouler sur les dalles.
"Tiens! tiens! fit Pardaillan, dont l'oeil petilla, il me plait ce petit
bout d'homme!"
Le Chico allait et venait avec agitation dans son petit reduit. Il
s'arreta devant l'ouverture, l'oeil perdu dans le vague, le sourcil
fronce, et murmura:
"Assassin... Juana l'a dit: je suis un assassin... Au meme titre que
ceux qui ont tue le Francais... plus... Tiens, sans moi, il ne serait
pas mort. Je n'avais pas pense a cela, moi. La jalousie me rendait
fou... Et, maintenant, je comprends, et je me fais horreur!..."
Pardaillan suivait avec une attention passionnee les phases du combat
qui se livrait dans l'esprit du nain.
Celui-ci reprit a haute voix le cours de ses reflexions coupees par les
apartes du chevalier:
"Le Francais n'est peut-etre pas mort? Il est peut-etre encore possible
de le sauver. Je l'ai promis a Juana!"
"Je ne pensais pas que cette petite Juana put s'interesser si vivement a
moi!"
"Si le Francais est mort, J
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