chines la sonnette de delivrance, qui marquait le bout de l'interminable
journee de labeur.
Progressivement, le moteur ralentissait sa marche. Les pilons immobilises
restaient suspendus a des cables solides; le ronron des engrenages
s'assourdissait; les courroies diligentes qui tout le jour avaient vole
comme des oiseaux nocturnes sur les poulies luisantes, s'arretaient avec
un craquement collant, en une tension derniere. Les boules du regulateur
se repliaient sur leurs axes; le monstrueux volant se figeait contre le
mur; le robinet de vapeur, dans un dernier soupir, rendait l'ame. En
hate on eteignait les lampes; et, dans un flic-floc de sabots, leur
gamelle et leur bissac a la main, les ouvriers rentraient au logis.
Reste le dernier, le chauffeur, a grandes pelletees de charbon mouille
et de cendre, couvrait le foyer des chaudieres et s'en allait fermer les
portes.
La journee de travail etait finie.
II
Regulierement, neuf hommes etaient occupes dans l'huilerie et la
minoterie. Bruun, le chauffeur, se considerait un peu comme leur chef.
C'etait un homme entre deux ages, aux traits fins et a la belle barbe
noire. Assez bon mecanicien, il etait intelligent et debrouillard, mais
il avait un caractere hargneux, difficile; cause de grabuge, parfois,
parmi les autres ouvriers. Mefiant envers tout le monde, il avait la
mauvaise habitude d'ecouter aux portes et d'epier par le trou des
serrures. Avec cela fort envieux et d'un temperament tres amoureux;
quoique marie, la terreur des ouvrieres, principalement de Zulma,
surnommee "La Blanche", qu'il excedait de ses assiduites.
Par ordre d'importance venait ensuite Berzeel, le plus age des "huiliers".
Au fond, toute l'importance de Berzeel, c'etait d'avoir ete le premier
ouvrier embauche par M. de Beule. Un petit bougre d'une cinquantaine
d'annees, la mine insolente et infirme d'une jambe, qu'il levait haut
a chaque pas, comme s'il franchissait un obstacle. Cette patte folle,
comme disaient les autres, etait le resultat d'une rixe violente au
couteau, ou Berzeel, jadis, avait mordu la poussiere. Le soir d'un
dimanche, on l'avait ramasse, ainsi arrange, a moitie mort, devant un
cabaret. De memoire d'homme Berzeel avait toujours ete un farouche
batailleur. Doux comme un agneau et diligent comme pas un, tant qu'il
etait a jeun et n'avait pas un sou en poche, il travaillait toute la
semaine sans presque lever les yeux ni prononcer un mot; mais a peine
avait-il touc
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