ave et digne homme,
de votre trempe, bon et devoue comme vous. Je lui dois la vie d'Alfred
et la mienne. Pagello a le projet de rester quelques mois a Paris. Je
vous le confie et je vous le legue; car, dans l'etat de maladie
violente ou est mon esprit, je ne sais point ce qui peut m'arriver.
Il est bien possible que je ne retourne point a Paris de sitot. C'est
pourquoi, craignant de ne jamais revoir ce brave garcon, qui repartira
peut etre bientot pour son pays, je l'invite (avec l'agrement de M.
Dudevant) a venir passer huit ou dix jours ici. Je ne sais s'il
acceptera. Joignez-vous a moi pour qu'il me fasse ce plaisir non en
lui lisant ma lettre, dont la tristesse l'affecterait, mais en lui
disant qu'il me donnera l'occasion de lui temoigner une amitie
malheureusement sterile et prete a descendre au tombeau.
J'aurai a causer longuement avec vous et a vous charger de l'execution
de volontes sacrees. Ne me sermonnez pas d'avance. Quand nous aurons
parle ensemble une heure, quand je vous aurai fait connaitre l'etat de
mon cerveau et de mon coeur, vous direz avec moi qu'il y a paresse et
lachete a essayer de vivre, quand je devrais en avoir deja fini. Le
moment n'est pas venu de nous expliquer a cet egard. Il viendra
bientot.
Si Pagello se decide a venir, donnez-lui les instructions necessaires
et faites-le partir vendredi prochain. Si vous pouviez l'accompagner,
cela me ferait beaucoup de bien; c'est pourquoi je ne m'en flatte pas.
Expliquez-lui ce qu'il a a faire a Chateauroux, ou l'on arrive a
quatre heures du matin pour en repartir a six, par la voiture de la
Chatre; car, chez Suard[2], on est peu affable pour les voyageurs de
passage.
Adieu. J'ai la fievre. Solange est charmante. Je ne peux l'embrasser
sans pleurer.
Faites carder mes matelas. Je ne veux pas etre mangee aux vers de mon
vivant.
Adieu, mon ami. Votre vieille mere va mal. Faites dire a mon
proprietaire que je garderai l'appartement.
A quoi bon changer pour le peu de temps que je veux passer en ce
monde?
[1] La Malgache
[2] Aubergiste a Chateauroux.
CXIX
A M. JULES NERAUD. A LA CHATRE
Nohant, 10 septembre 1834.
Mon pauvre ami,
Tu avais entrepris de me conseiller de me prouver que la vie est
supportable: ton destin et le mien se chargent de la reponse aux
questions inquietes que je t'adressais. Voila ta vie! voila le bonheur
qu'on obtient a force de privations, de resignation et d'ef
|