Vivant comme je vis, je ne puis vous voir; mais je m'interesse a vous.
Cela vous est du. Je vous souhaite et vous predis de l'avenir, si vous
etes severe envers vous-meme, et patient. Si je puis vous obliger je
le ferai de bon coeur. Mais soyez sur que, si vous produisez une bonne
oeuvre, vous n'aurez besoin de personne. Soyez sur, au contraire, que
toutes les amities litteraires ne feront pas un vrai succes a une
production negligee.
Tout a vous.
GEORGE SAND.
CXLI
A M ADOLPHE GUEROULT, A PARIS
La Chatre, mars 1836.
Mon ami
J'admire beaucoup vos perplexites a propos du titre que vous devez me
donner. Il me semble que je m'appelle George et que je suis votre ami,
ou votre amie, comme vous voudrez. Je n'entends rien aux compliments.
Si je n'avais pas pour vous estime, attachement et confiance, je ne
vous aurais pas temoigne confiance, estime et attachement. Apres cela,
je ne sais plus ce qui peut vous gener, et vous prie de vous souvenir
que je ne suis pas _begueule_. Ainsi appelez-moi comme il vous plaira;
mais ecrivez-moi pour me parler de vous et de mes mioches. Merci mille
fois de l'amitie que vous leur accordez. Ils n'en sentent pas le prix
maintenant; mais j'acquitterai leur dette d'affection et de
reconnaissance tant que je vivrai.
Ils sortiront tous deux aux vacances de Paques, et vous serez a meme
de voir Maurice chez Buloz. Emmenez-le quelquefois promener avec vous
pour decharger Buloz d'un si lourd fardeau, et rendez-moi bon compte
de la conduite de monsieur mon fils. Morigenez-le paternellement;
c'est un bon diable qui vous comprendra si vous lui parlez raison.
Solange est impayable avec son poignard dans le coeur ou dans
l'estomac. Je pense que ce dernier organe est celui qui joue le plus
grand role dans sa vie. Elle decouchera, je crois, pour les fetes de
Paques, et ma tante de l'Elysee-Bourbon[1] se chargera d'elle; car il
faut, par respect pour les moeurs, qu'elle ait son domicile chez des
femmes.
Serez-vous assez bon pour conduire son frere aupres d'elle quand il
voudra et pour le ramener chez Buloz ensuite, ou au moins pour
surveiller ses allees: et venues, de maniere qu'il ne soit qu'avec des
personnes sures, qui ne le perdront pas en chemin. Je compte sur vous,
sur Papet, sur Boucoiran et sur Buloz.
Je ne puis, quelque chagrin que j'eprouverai a vous perdre pour
longtemps peut-etre, vous dissuader du voyage en Egypte. Voyager,
c'est appre
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