vous pas de meme? Il m'a semble que si.
Je ne dis pas que je n'aime pas Sainte-Beuve. J'ai eu beaucoup trop
d'affection pour lui pour qu'il me soit possible de passer a
l'indifference ou a l'antipathie, a moins d'un tort grave. Je ne lui
ai point vu de mechancete, a lui, mais de la secheresse, de la
perfidie non raisonnee, non volontaire, non interessee, mais partant
d'un grand _crescendo_ d'egoisme. Je crois que je le juge mieux que
vous. Demandez a Franz, qui le connait davantage.
L'abbe de Lamennais se fixe, dit-on, a Paris. Pour moi, ce n'est pas
certain. Il y va, je crois, avec l'intention de fonder un journal. Le
pourra-t-il? Voila la question. Il lui faut une ecole, des disciples.
En morale et en politique, il n'en aura pas s'il ne fait d'enormes
concessions a notre epoque et a nos lumieres. Il y a encore en lui,
d'apres ce qui m'est rapporte par ses intimes amis, beaucoup plus du
_pretre_ que je ne croyais. On esperait l'amener plus avant dans le
cercle qu'on n'a pu encore le faire. Il resiste. On se querelle et on
s'embrasse. On ne conclut rien encore. Je voudrais bien que l'on
s'entendit. Tout l'espoir de _l'intelligence vertueuse_ est la.
Lamennais ne peut marcher seul.
Si, abdiquant le role de prophete et de poete apocalyptique, il se
jette dans l'action progressive, il faut qu'il ait une armee. Le plus
grand general du monde ne fait rien sans soldats. Mais il faut des
soldats eprouves et croyants. Il trouvera facilement a diriger une
populace d'ecrivassiers sans conviction qui se serviront de lui comme
d'un drapeau et qui le renieront ou le trahiront a la premiere
occasion. S'il veut etre seconde veritablement, qu'il se mefie des
gens qui ne disputeront pas avec lui avant d'accepter sa direction. En
reflechissant aux consequences d'un tel engagement, je vous avoue que
je suis moi-meme tres indecise. Je m'entendrais aisement avec lui sur
tout ce qui n'est pas le dogme. Mais, la, je reclamerais une certaine
liberte de conscience, et il ne me l'accorderait pas. S'il quitte
Paris sans s'etre entendu avec deux ou trois personnes qui sont dans
les memes proportions de devouement et de resistance que moi,
j'eprouverai une grande consternation de coeur et d'esprit. Les
elements de lumiere et d'education des peuples s'en iront encore
epars, flottant sur une mer capricieuse, echouant sur tous les
rivages, s'y brisant avec douleur, sans avoir pu rien produire. Le
seul pilote qui eut pu les rassembler leur aura r
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