ur un edifice qui
ne sera jamais ni parfait ni solide, mais auquel travailleront de
mieux en mieux les generations futures. Travaillez pour que ce qui va
mal aille tant soit peu mieux, mais travaillez sans trop d'orgueil. Il
vous arriverait plus tard, en voyant le peu que vous avez pu, de
tomber dans le decouragement, comme vous avez deja fait par moments;
et convenez que, dans ces moments-la, vous etes sensiblement
au-dessous de vous-meme.
Il ne serait pas impossible qu'au milieu de tous mes sermons, je me
misse aussi a labourer le champ avec une epingle noire et un
cure-dent. Ne partez pas trop vite pour l'Egypte. Il est possible que
je m'y fasse envoyer pour tacher d'operer une fusion entre cette
nuance et une autre.
Ma vie de femme est finie, et, puisqu'on m'a fait une petite
reputation et une sorte d'influence (que je n'ai ni ambitionnee ni
meritee), il m'arrivera peut-etre de faire aussi de mon cote un metier
de jeune homme.
J'ai regret a ces tresors de vertu et de courage qui s'isolent les uns
des autres, et, si je pouvais reussir a fondre ensemble le produit de
cinq paires de bras, je croirais avoir assez fait pour ma part, eu
egard a la force des miens. Ne parlez de cela a personne et
attendez-moi jusqu'au mois de mai. Je vous dirai ou j'en suis.
Adieu, mon ami. A vous de tout coeur.
GEORGE SAND.
[1] Madame Marechal.
CXLII
A M. FRANZ LISZT, A GENE
La Chatre, 5 mai 1836.
Mon bon enfant et frere,
Je vous prie de me pardonner mon enorme silence. J'ai ete bien agitee
et terriblement occupee depuis que je ne vous ai ecrit. Mon proces a
ete gagne; puis l'adversaire, apres avoir engage son honneur a ne pas
plaider, s'est mis a manquer de parole et a oublier sa signature et
son serment, comme des bagatelles qui ne sont plus de mode. Si la
possession de mes enfants et la securite de ma vie n'etaient en jeu,
vraiment ce ne serait pas la peine de les defendre au prix de tant
d'ennuis. Je combats par devoir plutot que par necessite.
Voila les raisons de mon long silence. J'attendais toujours que mon
sort fut decide pour vous dire le present et l'avenir. De lenteur en
lenteur, la chere Themis m'a conduite jusqu'a ce jour, sans que je
puisse rien fixer pour le lendemain. Je serais depuis longtemps pres
de vous, sans tous ces deboires. C'est mon reve, c'est l'Eldorado que
je me fais quand je puis avoir, entre le proces et le travail, un
quart d'heure de rev
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