ui ne s'expriment que par des reticences.
Si nous nous lions davantage, comme j'y compte, comme je le veux, il
faudra que vous preniez de l'empire sur moi; autrement, je serai
toujours desagreable. Si vous me traitez comme un enfant, je
deviendrai bonne, parce que je serai a l'aise, parce que je ne
craindrai pas de tirer a consequence, parce que je pourrai dire tout
ce qu'il y a de plus bete, de plus fou, de plus deplace, sans avoir
honte. Je saurai que vous m'avez _acceptee_. Si j'ai de mauvais
moments, j'en aurai aussi de bons. Autrement, je ne serai ni bien ni
mal. Je vous ennuierai et je m'ennuierai avec vous, quelque parfaite
que vous soyez.
Voyez-vous, l'espece humaine est mon ennemie, laissez-moi vous le
dire; j'aime mes amis avec tendresse, avec engouement, avec
aveuglement. J'ai deteste profondement tout le reste. Je n'ai plus de
furie pour la haine aujourd'hui; mais il y a un froid de mort pour
tout ce que je ne connais pas. J'ai bien peur que ce ne soit la ce
qu'on appelle l'egoisme de la vieillesse. Je me ferais maintenant
hacher pour des idees qui ne se realliseront sans doute pas de mon
vivant. Je rendrais service au dernier des goujats, par obstination
pour les esperances de toute ma vie, qui n'est peut-etre plus qu'un
long reve. Pour mon plaisir, je ne retirerais pas de l'eau l'enfant de
mon voisin. J'ai donc quelque chose en moi qui serait odieux, si ce
n'etait pure infirmite, reste d'une maladie aigue.
Il faut vous arranger bien vite pour que je vous aime. Ce sera bien
facile. D'abord, j'aime Franz. Il m'a dit de vous aimer. Il m'a
repondu de vous comme de lui.
La premiere fois que je vous ai vue, je vous ai trouvee jolie; mais
vous etiez froide. La seconde fois, je vous ai dit que je detestais la
noblesse. Je ne savais pas que vous en etiez. Au lieu de me donner un
soufflet, comme je le meritais, vous m'avez parle de votre ame, comme
si vous me connaissiez depuis dix ans. C'etait bien, et j'ai eu tout
de suite envie de vous aimer; mais je ne vous aime pas encore. Ce
n'est pas parce que je ne vous connais pas assez. Je vous connais
autant que je vous connaitrai dans vingt ans. C'est vous qui ne me
connaissez pas assez. Ne sachant si vous pourrez m'aimer, telle que je
suis en realite, je ne veux pas vous aimer encore.
C'est une chose trop serieuse et trop absolue pour moi qu'une amitie.
Si vous voulez que je vous aime, il faut donc que vous commenciez par
m'aimer; cela est tout simple, je vais
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