ne cellule ou je
n'ai d'autre societe qu'une tete de mort[2] et une pipe turque. Je
tiens la comme un Lapon a la croute de glace qu'il appelle sa patrie,
et je ne saurais me figurer, pour le moment, un autre Eden. Vous, etes
sous les myrtes et sous les orangers, vous, belle et bonne Marie. Eh
bien, priez-y pour moi, afin que je ne quitte pas mes glaces; car
c'est la mon element et le soleil ne luit pas sur moi.
Je ne vous jalouse pas; mais je vous admire et vous estime; car je
sais que l'amour durable est un diamant auquel il faut une boite d'or
pur, et votre ame est ce tabernacle precieux.
Tout ce que vous dites sur la non-superiorite des diverses classes
sociales les unes sur les autres est bien dit, bien pense. C'est vrai
et j'y crois, parce que c'est vous qui le dites. Pourtant, je ne
permettrai a nul autre de me dire, que les derniers ne sont pas les
premiers, et que l'opprime ne vaut pas mieux que l'oppresseur, le
depouille mieux que le spoliateur l'esclave que le tyran. C'est une
vieille haine que j'ai contre tout ce qui va s'elevant sur des degres
d'argile. Mais ce n'est pas avec vous que je puis disputer la-dessus.
Votre rang est eleve, je le salue, je le reconnais. Il consiste a etre
bonne, intelligente et belle. Abandonnez-moi votre couronne de
comtesse et laissez-moi la briser, je vous en donne une d'etoiles qui
vous va mieux.
Pardonnez-moi si je suis metaphorique aujourd'hui et ne vous moquez
pas de moi, je vous en prie, pour l'amour, de Dieu. Vous, savez que je
n'ai pas d'emphase ordinairement, et, si je me mets a prendre le ton
pedant, c'est que j'ai ma pauvre tete malade de ce brouillard qu'on
appelle poesie. D'ailleurs, les manieres raisonnables sont bonnes avec
cette fourmiliere ennemie qu'on appelle les indifferente. Avec ceux
qu'on aime, on peut etre ridicule a son aise. Et je veux ne pas plus
me gener pour vous dire des choses de mauvais gout que pour vous
envoyer une lettre toute barbouillee.
Imaginez-vous, ma chere amie, que mon plus grand supplice, c'est la
timidite. Vous ne vous en douteriez guere, n'est-ce pas? Tout le monde
me croit l'esprit et le caractere fort audacieux. On se trompe. J'ai
l'esprit indifferent et le caractere _quinteux_. Je ne crains pas, je
me mefie, et ma vie est un malaise affreux quand je ne suis pas seule,
ou avec des gens avec lesquels je me gene aussi peu qu'avec mes
chiens. Il ne faut pas esperer que vous me guerirez de sitot de
certains moments de raideur q
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