je te dirai ensuite pourquoi, et
souviens-toi de tout ce que je t'ai recommande. Tu as tres bien fait
de ne pas montrer ta lettre a Buloz. Il faut garder les lettres que je
t'ecris pour toi seul.
Adieu, mon amour; je t'embrasse mille fois.
Ton GEORGE.
CXXXV
AU MEME
La Chatre, 3 janvier 1836.
J'ai recu ta lettre, mon enfant cheri, et je vois que tu as tres bien
compris la mienne; ta comparaison est tres juste, et, puisque tu te
sers de si belles metaphores, nous tacherons de monter ensemble sur la
montagne ou reside la vertu. Il est, en effet, tres difficile d'y
parvenir; car, a chaque pas, on rencontre des choses qui vous
seduisent et qui essayent de vous en detourner. C'est de cela que je
veux te parler, et le defaut que tu dois craindre, c'est le trop grand
amour de toi-meme. C'est celui de tous les hommes et de toutes les
femmes.
Chez les uns, il produit la vanite des rangs; chez d'autres,
l'ambition de l'argent; chez presque tous, l'egoisme. Jamais aucun
siecle n'a professe l'egoisme d'une maniere aussi revoltante que le
notre. Il s'est etabli il y a cinquante ans une guerre acharnee entre
les sentiments de justice et ceux de cupidite. Cette guerre est loin
d'etre finie, quoique les cupides aient le dessus pour le moment.
Quand tu seras plus grand, tu liras l'histoire de cette revolution
dont tu as tant entendu parler et qui a fait faire un grand pas a la
raison et a la justice. Cependant, ceux qui l'avaient entreprise n'ont
pas ete les plus forts et ceux qui y ont travaille avec le plus de
generosite ont ete vaincus par ceux qui, aimant les richesses et les
plaisirs, ne se servaient du grand mot de Republique que pour etre des
especes de princes pleins de vices et de fantaisies. Ceux-la furent
donc les maitres; car le peuple est faible, a cause de son ignorance.
Parmi ceux qui pourraient prendre son parti et le secourir par leurs
lumieres, il en est un sur mille qui prefere le plaisir de faire du
bien a celui d'etre riche et comble d'amusements et de vanite. Ainsi,
la classe la moins nombreuse, celle qui recoit de l'education,
l'emportera toujours sur la classe ignorante, quoique cette classe
soit la masse des nations.
Vois quel est l'avantage et la necessite de l'education. Sans elle, on
vit dans une espece d'esclavage, puisque, tous les jours, un paysan
sage, vertueux, sobre, digne de respect, est dans la dependance d'un
homme mechant, ivrogne, brutal, i
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