njuste, mais qui a sur lui l'avantage
de savoir lire et ecrire. Vois ce qu'est un homme qui, ayant recu de
l'education, n'en est pas meilleur pour cela. Vois combien est
coupable devant Dieu celui qui, connaissant les malheurs et les
besoins de ses semblables, pouvant consacrer son coeur et sa vie a les
secourir, s'endort tranquillement tous les soirs dans un lit moelleux,
ou se remplit le ventre a une bonne table en se disant: "Tout est
bien, la societe est parfaitement organisee. Il est juste que je sois
riche et qu'il y ait des pauvres. Ce qui est a moi, est a moi; donc,
je dois tuer tous ceux qui ne me demanderont pas a manger, chapeau
bas, et, quand meme ils seraient bien polis, je dois les mettre
brutalement a la porte, s'ils m'importunent. Je le fais parce que j'en
ai le droit."
Voila le raisonnement de l'egoiste, voila les sentiments de cette
immense armee de coeurs impitoyables et d'ames viles qui s'appelle la
_garde nationale_. Parmi tous ces hommes qui defendent la propriete
avec des fusils et des baionnettes, il y a plus de betes que de
mechants. Chez la plupart, c'est le resultat d'une education
antiliberale. Leurs parents et leurs maitres d'ecole leur ont dit, en
leur apprenant a lire, que le meilleur etat de choses etait celui qui
conservait a chacun sa propriete. Ils appellent revolutionnaires,
brigands et assassins ceux qui donnent leur vie pour la cause du
peuple.
C'est parce que je ne veux pas que tu sois un de ces hommes, sans ame
ou sans raison, que je t'ecris en particulier et _en secret_, ce que
je pense de tout cela. Reflechis et dis-moi si cela se presente de
meme a ton esprit et a ton coeur. Dis-moi si tu trouves juste cette
maniere de partager inegalement les produits de la terre, les fruits,
les grains, les troupeaux, les materiaux de toute espece, et l'or (ce
metal qui represente toutes les jouissances, parce qu'un petit
fragment se prend en echange de tous les autres biens). Dis-moi, en un
mot, si la repartition des dons de la creation est bien faite, lorsque
celui-ci a une part enorme, cet autre une moindre, un troisieme
presque rien, un quatrieme rien du tout!
Il me semble que la terre appartient a Dieu, qui l'a faite, et qui l'a
confiee aux hommes pour qu'elle leur servit d'eternel asile. Mais il
ne peut pas etre dans ses desseins que les uns y crevent d'indigestion
et que les autres y meurent de faim. Tout ce qu'on pourra dire
la-dessus ne m'empechera pas d'etre triste et en cole
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