re quand je vois
un mendiant pleurant a la porte d'un riche.
Quant aux moyens de changer tout cela, il faudra que je t'ecrive
encore bien des lettres, et que nous ayons ensemble bien des
conversations avant que je t'en parle. Je ne veux pas t'en dire trop
long a la fois: il faut que tu aies le temps de reflechir a chaque
chose, et de me repondre a mesure si tu penses comme moi et si tu
comprends bien. Nous en restons la. _L'amour de soi-meme est ce qu'il
faut moderer, limiter et diriger._ C'est-a-dire qu'il faut s'habituer
a trouver le bonheur qui coute le moins d'argent et qui permet d'en
donner davantage a ceux qui en manquent. Nous chercherons ensemble
cette vertu, et, si nous n'y atteignons pas tout a fait, du moins nous
aurons des principes justes et de bonnes intentions.
Je ne te cache pas, et tu peux deja t'en apercevoir, que les principes
dont je te parle sont tout a fait en opposition avec ceux de vos
lycees. Les lycees, diriges par l'esprit du gouvernement, professeront
toujours le principe regnant. Ils vous precheraient l'Empire et la
guerre, si Napoleon etait encore sur le trone. Ils vous diraient
d'etre republicains, si la Republique etait etablie. Il ne faut pas
t'occuper des reflexions que vos professeurs ou meme les livres que
l'on vous donne font sur l'histoire. Ces livres sont dictes a des
pedants, esclaves du pouvoir.
Souvent, en lisant l'histoire des grandes actions des temps antiques,
ecrite par les hommes d'aujourd'hui, tu verras que les heros sont
traites de scelerats. Ton bon sens et la justice de ton coeur
redresseront ces jugements hypocrites. Tu liras les faits et tu seras
le juge des hommes qui les auront accomplis. Souviens-toi que, depuis
le commencement du monde, ceux qui ont travaille pour la liberte et
l'honneur de leurs freres sont des grands hommes. Ceux qui ont
travaille pour leur propre renommee et pour leur ambition personnelle
sont des hommes qui ont fait un emploi coupable de leurs grandes
qualites. Ceux qui n'ont songe qu'a leurs plaisirs sont des brutes.
Mais tu comprends que notre correspondance doit rester secrete et que
tu ne dois ni la montrer ni seulement en parler. Je desire aussi que
tu n'en dises pas un mot a ton pere: tu sais que ses opinions
different des miennes. Tu dois ecouter avec respect tout ce qu'il te
dira; mais ta conscience est libre et tu choisiras, entre ses idees et
les miennes, celles qui te paraitront meilleures. Je ne te demanderai
jamais ce qu
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