beaucoup. C'est peut-etre l'homme le plus fin et le plus habile de
France. Malheureusement, il fait de ses talents un usage funeste, et,
au lieu de repandre l'amour de la vertu autour de lui, il deshonore de
son mieux tout ce qui l'entoure. Il deshonore reellement la France qui
le supporte. C'est un grand malheur de voir qu'un seul homme peut, en
caressant les vices et les mauvais sentiments, degrader toute une
nation et l'entrainer dans le mal.
Tu raisonnes tres bien d'ailleurs, seulement tu fais encore une erreur
en disant: "_La nature_ a ete injuste envers une grande partie du
genre humain;" tu veux dire _la societe_.
La nature, mon pauvre enfant, est une bonne mere; c'est Dieu, ou du
moins c'est son ouvrage; c'est elle qui nous donne les moissons, les
forets, les fruits, les prairies, ces belles fleurs que j'aime tant,
et ces beaux papillons que tu soignes si bien. La nature offre
d'elle-meme toutes ses productions a l'homme qui seme et recueille.
Les arbres ne refusent pas leurs fruits au voyageur qui les cueille en
passant, et les legumes viennent aussi beaux dans le terreau d'un
simple jardinier que dans le jardin d'un prince.
_La societe_, c'est autre chose: ce sont les conventions faites entre
les hommes pour le partage des productions de la nature. Ce n'est pas
la justice, ce n'est pas le sentiment de la nature qui a dicte ces
lois, c'est la force. Les faibles ont eu moins que les autres, et les
infirmes n'ont rien eu du tout. Le droit d'heritage a conserve cette
inegalite; et puis, dans les temps civilises, comme le notre par
exemple, les plus instruits et les plus habiles sont devenus riches et
n'en sont pas devenus meilleurs pour cela. Les pauvres ignorants sont
et seront toujours dans une affreuse misere, si on ne fait rien pour
eux. Dis donc que la societe est injuste, et non pas la nature.
Nous parlerons de tout cela souvent et peu a peu nous nous entendrons.
Pour le moment, je ne veux pas te fatiguer l'esprit. Tu vas bientot
lire un tres beau livre que l'on donne heureusement dans les colleges:
c'est le _De viris illustribus_, par Plutarque. Il faudra le lire avec
attention. Tout ce qu'il y a de beau dans l'ame humaine est senti et
indique dans ce livre.
J'irai a Paris pour Noel, parce que tu auras plusieurs jours de sortie
et que j'en profiterai. Fais attention de compter le nombre de sorties
que tu auras eues avec ton pere, depuis le jour de son arrivee a Paris
jusqu'a Noel. N'y manque pas,
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