t nous allons au meme but par des moyens differents.
Nous nous disputons toujours, parce que chacun croit avoir plus
d'esprit que son voisin, et se console d'aller fort mal, en voyant que
les autres ne vont pas mieux: triste consolation, en verite, qui fait
beaucoup de mal a notre epoque. Toute cette guerre a coups d'epingle
que se fait l'amour-propre des uns et des autres n'avance a rien; tout
au contraire. Si tout ce qui a de bonnes vues et de bons sentiments
s'accueillait avec tolerance, on ferait le double d'ouvrage.
Vous ne pouvez nier, mon cher _Marius a Minturnes_, que je n'aie plus
de bonne foi que vous. Vous abimez nos republicains de la tete aux
pieds, et moi, je ne cesse d'aimer vos saint-simoniens et de les
placer au-dessus de tout.
Je me defends meme d'une chose, c'est d'aimer les republicains avec
exces. J'aime ceux qui se trouvent etre mes amis, et j'examine les
autres par curiosite, ou je les accueille par savoir-vivre et
politesse.
Cela ne fait rien au principe.
Robespierre etait diablement saint-simonien. Il etait pour l'execution
prompte et violente du systeme. Vous etes pour la marche lente et
evangelique. Eh bien, chacun devrait etre republicain a la maniere de
Robespierre, ou saint-simonien a la maniere d'Enfantin, selon son
temperament. Les uns saperaient, les autres batiraient. Soyez sur que
cela viendra, qu'il y aura entre vous et nous une etroite alliance et
que vous ne ferez rien sans nous.
Vous savez comment s'est etabli le christianisme, c'est-a-dire fort
mal, meme dans ce qu'on appelle son meilleur temps. Il etait dans un
si beau desaccord avec les moeurs, qu'en son nom, on commettait les
crimes et on nourrissait les sentiments les plus opposes a son
institution et a son esprit. Douze corps d'armee, commandes par les
douze apotres, eussent, je crois, mieux valu que Paul repetant cette
lachete: "Rendez a Cesar, etc."
Faites a votre idee, si vous croyez bien faire en louvoyant, et si
votre conscience est en paix. Moquez-vous des reproches que je fais a
votre tiedeur croissante, comme je me moque des railleries que vous
adressez a mon recent enthousiasme. Je crois que vous vous trompez
cependant, et que l'amour de l'egalite a ete la seule chose qui n'ait
pas varie en moi depuis que j'existe. Je n'ai jamais pu accepter de
maitre.
A propos, mon proces marche, il est en bon train. Le baron ne plaide
pas, il demande de l'argent et beaucoup. Je lui en donne, on le
condamne a me lai
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