la critique tous mes defauts litteraires et
toutes les obscurites de mon raisonnement. Mais, dans cette province,
ma patrie d'adoption, je defends a tout adulateur des abus de la
societe de me choisir pour holocauste, lorsqu'il lui plait d'offrir un
hommage aux puissances qu'il veut se rendre favorables, soit pour se
faire un nom a defaut de talent, soit pour obtenir des protections
dans ce monde, qui se paye souvent de declamations a defaut de
preuves.
Un de nos plus beaux talents ecrivait, il y a quelques semaines: "Il
est bien decourageant d'ecrire pour des gens qui ne savent pas lire."
Je sais quelque chose de plus facheux, c'est d'ecrire pour les gens
qui ne _veulent_ pas lire. La profession de tout journaliste aux gages
de l'etat social l'investit du droit de connaitre la pensee d'un
auteur rien qu'en regardant la couleur de la couverture du livre.
Le public le sait aussi; c'est au public que j'en appelle, pour
repousser les interpretations malpropres du chaste critique qui
pretend avoir saisi _le resultat et le but definitif_ de tous mes
ouvrages. Je declare ici que ce juge eclaire d'_Indiana_, de
_Valentine_, de _Lelia_ et de _Jacques_ n'a ni compris ni lu aucun de
ces livres.
Si la franchise de ce dementi le blesse, mon sexe ne me permettant pas
de lui donner ou de lui demander reparation, j'institue mon defenseur
tout mien compatriote homme de coeur et de conscience, qui se trouvera
devant lui.
J'ai l'honneur d'etre, etc.
GEORGE SAND.
CXXXIII
A MAURICE DUDEVANT, AU COLLEGE HENRI IV
La Chatre, 10 decembre 1835.
Tu es un drole de gamin avec tes reves, tu mets Emmanuel[1] a toute
sauce; lui as-tu raconte cette farce-la?
Tu dois avoir recu, par lui, une lettre de moi, datee du 27; ainsi tu
ne te plaindras plus de mon silence. Ta lettre est bien ecrite et tres
comique; mais l'orthographe n'est pas si bonne que les autres fois. Il
faut t'appliquer bien serieusement a apprendre ta langue, chose des
plus difficiles, qu'on apprend assez mal dans les colleges.
Il y a un grand inconvenient a l'apprendre tard, parce qu'alors on
l'oublie et l'on fait des fautes toute sa vie; ce qui arrive aux trois
quarts des personnes, et ce qui n'est pas pardonnable. A dix ans, je
ne faisais pas une faute; mais on se depecha trop de me faire quitter
la grammaire, j'oubliai donc ce que je savais si bien. Au couvent, on
m'apprit l'anglais, l'italien, et on negligea d'examiner
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