ieusement
avec plus de trois personnes a ma connaissance.
Je n'ai jamais eu pour toi ni amour moral, ni amour physique; mais,
des le jour ou je t'ai connu, j'ai senti une de ces sympathies rares,
profondes et invincibles que rien ne peut alterer; car plus on
s'approfondit, plus on se connait identique a l'etre qui l'inspire et
la partage. Je ne t'ai pas trouve superieur a moi par nature; sans
cela, j'aurais concu pour toi cet enthousiasme qui conduit a l'amour.
Mais je t'ai senti mon egal, mon semblable, _mio compare_, comme on
dit a Venise.
Tu valais mieux que moi, parce que tu etais plus jeune, parce que tu
avais moins vecu dans la tourmente, parce que Dieu t'avait mis
d'emblee dans une voie plus belle et mieux tracee. Mais tu etais sorti
de sa main avec la meme somme de vertus et de defauts, de grandeurs et
de miseres que moi.
Je connais bien des hommes qui te sont superieurs; mais jamais je ne
les aimerai du fond des entrailles comme je t'aime. Jamais il ne
m'arrivera de marcher avec eux toute une nuit sous les etoiles, sans
que mon esprit ou mon coeur ait un instant de dissidence ou
d'antipathie. Et pourtant ces longues promenades et ces longs
entretiens, combien de fois nous les avons prolonges jusqu'au jour,
sans qu'il s'eveillat en moi un elan de l'ame qui n'eveillat le meme
elan dans la tienne, sans qu'il vint a mes levres l'aveu d'une misere
pareille.
L'indulgence profonde et l'espece de complaisance lache et tendre que
l'on a pour soi-meme, nous l'avons l'un pour l'autre. L'espece
d'engouement qu'on a pour ses propres idees et la confiance
orgueilleuse qu'on a pour sa propre force, nous l'avons l'un pour
l'autre. Il ne nous est pas arrive _une seule fois_ de discuter quoi
que ce soit, bon ou mauvais. Ce que dit l'un de nous est adopte par
l'autre aussitot, et cela, non par complaisance, non par devouement,
mais par sympathie necessaire.
Je n'ai jamais cru a la possibilite d'une telle adoption reciproque
avant de te connaitre, et, quoique j'aie de grands, de nombreux et de
precieux amis, je n'en ai pas trouve un seul (a moins que ce ne fut un
enfant n'ayant encore rien senti et rien pense par lui-meme) dont il
ne m'ait fallu conquerir l'affection et dont il ne me faille la
conserver encore avec quelque soin, quelque travail et quelque effort
sur moi-meme.
Il est heureux que l'humanite soit faite ainsi et que toutes ces
differences s'y trouvent nuancees a l'infini, afin que les hommes
adoucissen
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