Paris, 6 mai 1835.
Mon cher enfant,
Votre lettre est belle et bonne comme votre ame; mais je vous renvoie
cette page-ci, qui est absurde et tout a fait inconvenante. Personne
ne doit m'ecrire ainsi. Critiquer mon costume avec d'autres idees et
dans d'autres termes, si vous avez envie de disserter sur un
accessoire aussi pueril. Il vaut mieux ne pas vous en occuper. Relisez
les lignes que j'ai soulignees. Elles sont souverainement
impertinentes. Je pense que vous etiez gris en les ecrivant. Je ne
m'en fache nullement et ne vous en aime pas moins. Je vous avertis de
ne pas faire deux fois une chose ridicule; cela ne vous va point. Je
vous ai toujours vu un tact exquis et une delicatesse de coeur que
j'ai su apprecier.
Pour tout le reste, vous avez raison entiere, et je ne suis nullement
disposee a soutenir une controverse a propos des saint-simoniens.
J'aime ces hommes et j'admire leur premier jet dans le monde. Je
crains qu'ils ne s'amendent trop a notre grossiere et cupide raison,
non par corruption, mais par lassitude, ou peut-etre par une erreur de
direction dans un zele soutenu.
Vous savez que je juge de tout par sympathie. Je sympathise peu avec
notre civilisation, triomphante en Orient. J'en aimerais mieux une
autre, qui n'eut pas Louis-Philippe pour patron et Janin pour
coryphee.
C'est peut-etre une mauvaise querelle. Aussi n'y devez-vous pas faire
attention, et, surtout, ne jamais vous effrayer des moments de spleen
ou d'irritation bilieuse ou vous pouvez me trouver.
Vous vous trompez, si vous me croyez plus _agacee_ maintenant
qu'autrefois. Au contraire, je le suis moins. J'ai sous les yeux de
grands hommes et de grandes pensees. J'aurais mauvaise grace a nier la
vertu et le travail.
Mes idees sur le reste sont le resultat de mon caractere. Mon sexe,
avec lequel je m'arrange fort bien sous plus d'un rapport, me dispense
de faire grand effort pour m'amender. Je serais le plus beau genie du
monde que je ne remuerais pas une paille dans l'univers, et, sauf
quelques bouffees d'ardeur virile et guerriere, je retombe facilement
dans une existence toute poetique, toute en dehors des doctrines et
des systemes.
Si j'etais garcon, je ferais volontiers le coup d'epee par-ci par-la,
et des lettres le reste du temps. N'etant pas garcon, je me passerai
de l'epee et garderai la plume, dont je me servirai. L'habit que je
mettrai pour m'asseoir a mon bureau importe fort peu a l'affaire, et
mes
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