ue vous me semblez la seule
chose belle, estimable et vraiment noble que j'aie vue briller dans la
sphere patricienne. Il faut que vous soyez en effet bien puissante
pour que j'aie oublie que vous etes comtesse.
Mais, a present, vous etes pour moi le veritable type de la princesse
fantastique, artiste, aimante et noble de manieres, de langage et
d'ajustements, comme les filles des rois aux temps poetiques. Je vous
vois comme cela, et je veux vous aimer comme vous etes et pour ce que
vous etes.
Noble, soit, puisqu'en etant noble selon les mots, vous avez reussi a
l'etre suivant les idees, et puisque comtesse vous m'etes apparue
aimable et belle, douce comme la Valentine que j'ai revee autrefois,
et plus intelligente; car vous l'etes diablement trop, et c'est le
seul reproche que je trouve a vous faire. C'est celui que j'adresse a
Franz, a tous ceux que j'aime. C'est un grand mal que le nombre et
l'activite des idees. Il n'en faudrait guere dans toute une vie: on
aurait trouve le secret du bonheur.
Je me nourris de l'esperance d'aller vous voir, comme d'un des plus
riants projets que j'aie caresses dans ma vie. Je me figure que nous
nous aimerons reellement, vous et moi, quand nous nous serons vues
davantage. Vous valez mille fois mieux que moi; mais vous verrez que
j'ai le sentiment de tout ce qui est beau, de tout ce que vous
possedez. Ce n'est pas ma faute. J'etais un bon ble, la terre m'a
manque, les cailloux m'ont recue et les vents m'ont dispersee. Peu
importe! le bonheur des autres ne me donne nulle aigreur. Tant s'en
faut. Il remplace le mien. Il me reconcilie avec la Providence et me
prouve qu'elle ne maltraite ses enfants que par distraction. Je
comprends encore les langues que je ne parle plus, et, si je gardais
souvent le silence pres de vous, aucune de vos paroles ne tomberait
cependant dans une oreille indifferente ou dans un coeur sterile.
Vous avez envie d'ecrire? pardieu, ecrivez! Quand vous voudrez
enterrer la gloire de Miltiade, ce ne sera pas difficile. Vous etes
jeune, vous etes dans toute la force de votre intelligence, dans toute
la purete de votre jugement. Ecrivez vite, avant d'avoir pense
beaucoup; quand vous aurez reflechi a tout, vous n'aurez plus de gout
a rien en particulier et vous ecrirez par habitude. Ecrivez, pendant
que vous avez du genie, pendant que c'est le dieu qui vous dicte, et
non la memoire. Je vous predis un grand succes. Dieu vous epargne les
ronces qui gardent les fle
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