dans la mienne, je pourrais
esperer de reparer le mauvais effet de la premiere entrevue, et je ne
me mefierais pas de moi-meme. Mais, ici, nous ne nous trouverions
jamais seules ensemble; ma mansarde n'a qu'une piece, et trente
personnes s'y succedent chaque jour, soit a titre d'amis, soit pour
raison d'affaires, soit par oisivete de curieux. Je cede souvent a
ceux-la, par crainte d'etre jugee orgueilleuse. Comprenez-moi mieux et
aimez-moi mieux qu'eux tous. Vous n'avez pas besoin de moi; sans cela,
j'irais au-devant de vous.
Ne me croyez pas ingrate. Je baise la main qui a trace mon eloge avec
tant de grace.
GEORGE SAND.
[1] Veuve Marbouty, femme de lettres.
CXXVII
A M***.
Paris, juin 1835.
L'amour, tel que notre nature le concoit et le ressent en 1835, n'est
pas tout ce qu'il y a de plus pur et de plus beau au monde. Il a ete
pire et meilleur, selon les temps.
Aujourd'hui, c'est un melange d'enthousiasme et d'egoisme qui lui
donne, chez les femmes, un caractere tout particulier. Privees des
_salutaires_ prejuges de la devotion, abandonnees a la fermentation de
l'intelligence qui penetre a tort et a travers dans leur education,
elles n'en sont pas moins rigoureusement fletrie par l'opinion.
L'opinion, c'est, d'un cote, l'intolerance des femmes laides, froides
ou laches; de l'autre, c'est la censure railleuse et insultante des
hommes, qui ne veulent plus de femmes devotes, qui ne veulent pas
encore de femmes eclairees, et qui veulent toujours des femmes
fideles. Or il n'est pas facile que la femme soit philosophe et chaste
a la fois. Cela ne se voit guere; a moins qu'il n'y ait pas de
temperament, et encore, il ne faut pas s'y fier. La vanite fait faire
plus de folies et de sottises.
Les femmes de notre temps ne sont donc ni eclairees, ni devotes, ni
chastes. La revolution morale qui devait les transformer au gre de la
nouvelle generation masculine a ete prise de travers. On n'a pas voulu
relever la femme a ses propres yeux, on n'a pas voulu lui creer un
role noble et la mettre sur un pied d'egalite qui la rendit apte aux
vertus viriles. La chastete eut ete glorieuse a des femmes libres. A
des femmes esclaves, c'est une tyrannie qui les blesse et dont elles
secouent le joug hardiment. Je ne puis les en blamer.
Mais je ne les estime pas. Elles ont perdu leur cause en se jetant
dans le desordre au nom de l'amour et de l'enthousiasme, et leur
conduite a tout
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