esoin d'equite qui s'eveillent,
et qui prevaudront quand il en sera temps.
Toutes ces conventions arretees et observees, je ne doute pas que
votre amour ne soit heureux, durable et digne d'admiration. Ton
caractere est la constance, l'egalite et la tendresse memes. Une femme
digne de toi te fixera, et il est impossible qu'une femme qui t'a
compris ne soit pas ton egale en courage et en delicatesse.
La societe est mauvaise et cruelle. Nos passions ne sont ni bonnes ni
mauvaises. Il faut de rien faire quelque chose. Ce n'est pas
grand'merveille que d'aimer. La moindre grisette ecrit de belles
lettres d'amour et se sacrifie avec autant de devouement qu'une muse.
Il faut un travail rude et une haute volonte pour faire de la passion
une vertu. Si nous voulons relever la societe, relevons aussi nos
passions. Mais, en nous y abandonnant, nous ne ferons qu'une chose
fort ordinaire et digne de fournir un sujet de vaudeville ou de
nouvelle a MM. Scribe, Balzac, George Sand et consorts. Ce ne sont pas
ces gens-la qu'il faut prendre pour arbitres en fait de sagesse et de
raison. Ils font des contes pour amuser. Ils raconteraient la vie
telle qu'elle est, s'ils avaient un cours de morale serieuse a faire.
CXXVIII
A MAURICE DUDEVANT, AU COLLEGE HENRI IV
Paris, 18 juin 1835.
Travaille, sois fort, sois fier, sois independant, meprise les petites
vexations attribuees a ton age. Reserve ta force de resistance pour
des actes et contre des faits qui en vaudront la peine. Ces temps
viendront. Si je n'y suis plus, pense a moi qui ai souffert, et
travaille gaiement. Nous nous ressemblons d'ame et de visage. Je sais
des aujourd'hui quelle sera ta vie intellectuelle. Je crains pour toi
bien des douleurs profondes, j'espere pour toi des joies bien pures.
Garde en toi le tresor de la bonte. Sache donner sans hesitation,
perdre sans regret, acquerir sans lachete. Sache mettre dans ton coeur
le bonheur de ceux que tu aimes a la place de celui qui te manquera!
Garde l'esperance d'une autre vie, c'est la que les meres retrouvent
leurs fils. Aime toutes les creatures de Dieu; pardonne a celles qui
sont disgraciees; resiste a celles qui sont iniques; devoue-toi a
celles qui sont grandes par la vertu.
Aime-moi! je t'apprendrai bien des choses si nous vivons ensemble. Si
nous ne sommes pas appeles a ce bonheur (le plus grand qui puisse
m'arriver, le seul qui me fasse desirer une longue vie), tu prieras
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