t leurs asperites par le frottement mutuel et se fassent des
regles de conduite pour ne pas se briser les uns contre les autres.
Mais, quand deux creatures identiques se rencontrent face a face,
quand, apres un jour de tete-a-tete, elles s'apercoivent avec surprise
et enchantement qu'elles peuvent passer ainsi tous les jours de leur
vie sans jamais se voiler ni se contraindre, et sans jamais se faire
souffrir, quelles actions de graces ne doivent-elles pas rendre a
Dieu! car il leur a accorde une faveur d'exception; il leur a fait,
dans la personne de l'_ami_, un don inappreciable, que la plupart des
hommes cherchent en vain.
CXXI
A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHATRE
Paris, 15 octobre 1834.
Mon cher camarade,
Je te trouve injuste et fou de douter de mon amitie. Ce qui repare ta
faute, c'est que tu promets de t'en rapporter aveuglement et pour
toujours a ma reponse.
Eh bien, oui, mon ami, je t'aime sincerement et de tout mon coeur. Je
m'inquiete fort peu de savoir si ton caractere est bon ou mauvais,
aimable ou maussade. J'accepte tous les caracteres tels qu'ils sont,
parce que je ne crois guere qu'il soit au pouvoir de l'homme de
refaire son temperament, de faire dominer le systeme nerveux sur le
sanguin, ou le bilieux sur le lymphatique. Je crois que notre maniere
d'etre dans l'habitude de la vie tient essentiellement a notre
organisation physique, et je ne ferai un crime a personne d'etre
semblable a moi, ou different de moi. Ce dont je m'occupe, c'est du
fond des pensees et des sentiments serieux, c'est ce qu'on appelle le
coeur; quand il n'y en a pas chez un homme, quoique cela ne soit guere
sa faute non plus, je m'eloigne de lui, parce que, apres tout, j'en ai
un, moi! N'ayant rien a debrouiller avec les caracteres, dans ma vie
d'independance et d'isolement social, je n'ai a traiter que de
conscience a conscience et de coeur a coeur. J'ai toujours connu le
tien bon et sincere; je l'ai cru peut-etre quelquefois moins chaud
qu'il ne l'est, et c'est un tort que j'ai eu envers tous mes amis.
Cela est venu a la suite de grands chagrins qui m'avaient reduite
moralement a un etat maladif. Il faut me le pardonner; car je n'en ai
point parle et j'en ai cruellement souffert. Il n'y avait aucune
raison qui ne vint de moi et non des autres. Ainsi j'aurais ete folle
de me plaindre.
Il ne faut pas me reprocher d'avoir garde le silence; mais surtout il
ne faut pas croire qu
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