S ROLLINAT, A CHATEAUROUX
Paris. 15 aout 1834.
Mon ami,
J'ai trouve a Paris ta brave lettre du mois d'avril, hier en arrivant
de Venise, ou j'ai passe toute l'annee. Je pars dans cinq ou six jours
pour le pays, et j'espere bien te trouver a Chateauroux. Tache de ne
pas etre absent du 24 au 26, et de venir avec moi a Nohant. Il le faut
absolument pour que je sois completement heureuse.
Je ne sais rien te dire de moi; sinon que j'etais malade de l'absence
de mes enfants, que je suis ivre de revoir Maurice et impatiente de
revoir Solange, que je t'aime comme un frere, et que, sous les belles
etoiles de l'Italie, je n'ai pas passe un soir sans me rappeler nos
promenades et nos entretiens sous le ciel de Nohant.
Je ne t'ai pas ecrit; il eut fallu te raconter ma vie entiere. C'est
un triste et long pelerinage que je n'avais pas le courage de
retracer. Je te raconterai tout, sous les arbres de mon jardin ou dans
les traines d'Urmont. Ne me retire pas ce bonheur-la, mon ami, quelque
affaire que tu aies. Songe que les affaires se retrouvent et que les
jours heureux ne pleuvent pas pour nous.
Adieu, mon ami. J'ai trois cent cinquante lieues dans les jambes, car
j'ai traverse la Suisse a pied; plus, un coup de soleil sur le nez, ce
qui fait que je suis _charmante_. Il est bien heureux pour toi que
nous soyons amis; car je defie bien tout animal appartenant a notre
espece de ne point reculer d'horreur en me voyant. Ca m'est bien egal,
j'ai le coeur rempli de joie.
CXVIII
A M. JULES BOUCOIRAN, A PARIS
Nohant, 31 aout 1834.
Mon cher enfant,
Je suis arrivee tres lasse et assez malade; je vais mieux. Maurice va
bien. Tous mes amis, Gustave Papet, Alphonse Fleury, Charles Duvernet
et Duteil sont venus, le lendemain, diner avec mesdames Decerf et
Jules Neraud[1].
J'ai eprouve un grand plaisir a me retrouver la. C'etait un adieu que
je venais dire a mon pays, a tous les souvenirs de ma jeunesse et de
mon enfance; car vous avez du le comprendre et le deviner: la vie
m'est odieuse, impossible, et je veux en finir absolument avant peu.
Nous en reparlerons.
En attendant, je vous remercie de l'amitie constante, infatigable, que
vous avez pour moi. J'aurais ete heureuse si je n'eusse rencontre que
des coeurs comme le votre. Dans ce moment, vous comblez de soins et de
services mon ami Pagello.
Je vous en suis reconnaissante. Pagello est un br
|